ORIGINAL VS REMAKE : PLEIN SOLEIL de René Clément (1960) / LE TALENTUEUX MR RIPLEY de Anthony Minghella (1999)
L’histoire
Tom Ripley est un jeune homme discret mais opportuniste. Lorsqu’un riche américain le charge de ramener son fils, parti en Italie depuis trop longtemps, il s’y rend avec la ferme intention d’empocher les 5000 $ de récompense. Mais le fameux Philippe Greenleaf, qui mène la grande vie à Mongibello avec sa compagne Marge, n’est pas prêt à plier bagages pour se retrouver sous la coupe paternelle. En attendant de convaincre Philippe, Tom se prête volontiers au jeu de l’assistant malmené tout en profitant allègrement des avantages que lui apporte ce fils à papa. L’affaire se corse lorsque Tom comprend que Philippe ne rentrera jamais…
Tom Ripley un personnage ingénieux et calculateur
Tiré du roman Monsieur Ripley de Patricia Highsmith, cette histoire d’usurpation d’identité est remarquablement portée à l’écran par René Clément qui fait du duel Alain Delon/Maurice Ronet un grand moment de cinéma. Ripley est un personnage mystérieux dont on sait très peu de choses. D’ailleurs, nous n’apprendrons jamais rien de son passé. Tout ce que l’on croit connaître, à l’exemple de son amitié avec Philippe, relève de la mystification. Ce qui transparaît à l’écran c’est sa fascination pour des gosses de riches qui mènent la dolce vita en Italie et son obsession de l’argent. Son œil se pose sur tout ce qui brille, sur les belles matières et sur les billets de Greenleaf. Ripley est fourbe, manipulateur et calculateur. Delon joue le rôle d’un homme soumis mais il ne l’est jamais vraiment. Envieux, il ne se contente pas de profiter des miettes de Greenleaf, il veut vivre sa vie et l’amour qui va avec. Face à lui, Philippe (Maurice Ronet), un jeune homme immature, pourri gâté et épicurien. Il vit au jour le jour en dilapidant l’argent de papa. Philippe incarne la jeunesse dorée des années soixante, insouciante et désinvolte. Il est tout ce que Tom n’est pas.
Dans ce film, une partie d’échec s’engage. Philippe sait très bien que Tom est un imposteur, c’est ce qui lui plait et l’impressionne. Il souhaite voir jusqu’où Ripley peut aller. Mais il attise aussi volontairement son avidité en exhibant ses richesses et son histoire d’amour. Il intègre ce pique-assiette dans son monde tout en l’excluant par le mépris. Philippe sait qu’il joue un jeu dangereux mais il aime jouer.
René Clément laisse continuellement planer un doute sur l’enfance commune de Philippe et Tom. Au début, les deux personnages très complices semblent de vieux amis. Philippe traite Tom comme un frère avec qui il partage ses virées italiennes. Il s’échange même les femmes (comme la jeune Belge dans la voiture). Malgré cela, Philippe est persuadé de ne jamais avoir connu Tom auparavant, même s’il fait croire le contraire à tout le monde. Pourtant, Tom évoque des souvenirs d’enfance, réels ou imaginés, on ne le sait pas vraiment. Il est possible que Tom ait réellement connu Philippe à 15 ans et que celui-ci, avec son mépris habituel, l’ait tout simplement ignoré. On ne le saura jamais.
Le crime de Ripley
Sur le bateau qui emmène Philippe et Marge pour une paisible croisière, Tom exécute son plan diabolique. Le but est de créer la discorde entre les deux tourtereaux afin de larguer Marge à la prochaine escale et se retrouver seul avec Philippe. Cela s’avère facile car Ripley avait préalablement volé une boucle d’oreille à l’une des nombreuses conquêtes de Philippe. Pourquoi ce vol ? Avait-il déjà pensé à la suite ? Pas sûr. Tom Ripley est un peu cleptomane. Il est probable qu’il ait pris l’objet pour sa brillance mais tout en pensant qu’il pourrait lui servir plus tard, car Ripley est prévoyant. Il savait déjà qu’il allait tuer Philippe, restait à savoir à quel moment. Enfin seuls, Tom et Philippe peuvent s’affronter. Une conversation s’engage entre l’assassin et sa proie. Le vouvoiement est de rigueur comme s’ils ne se connaissaient plus. Philippe tente de jouer sa vie au poker mais qu’importe. En le tuant, Tom peut tout avoir. Cette vaine partie de cartes se termine par un coup de poignard. Après s’être débarrassé du corps, Philippe descend en cabine pour manger goulûment une pêche : il est heureux d’avoir tué.
Quand Ripley devient Greenleaf
Devenu Philippe Greenleaf grâce à un passeport habilement contrefait et une signature bien imitée, Tom peut profiter de la belle vie de sa victime. Mais jusqu’à quand ? Dès qu’il risque de se faire démasquer, il remanie son plan pour devenir de plus en plus brillant. La mort de Freddie Miles, le bon copain de Philippe, l’amène à redevenir Tom Ripley aux yeux de la police, délaissant une fausse identité devenue trop encombrante. En tuant une deuxième fois Philippe par lettre de suicide, il a de nouveau les mains libres pour se rapprocher de Marge et de l’argent (grâce au faux testament dont elle est la seule bénéficiaire). Son plan est ingénieux de bout en bout.
La symbolique animale dans Plein Soleil
On remarque une prédominance de la nourriture et de l’animalité dans le film de René Clément. Une atmosphère de mort règne après le premier meurtre et s’étend sur tout le film. Après son crime, Tom se jette sur sa pêche avec avidité comme si le meurtre l’avait revigoré. Ensuite, au marché de Mongibello, il contemple les étals de poissons avec fascination et gourmandise. Son intérêt se porte sur une tête de poisson laissée là sur le sol. Juste après, dans son appartement, il tue Freddie Miles qui manque de le démasquer. Le panier de commissions tenu par la victime tombe, laissant quelques légumes et un poulet déplumé sur le sol. Cette image de Freddie étendue à côté de vulgaires produits de consommation sonne comme une réponse cruelle au mépris de celui qui voyait Tom comme un parasite. Avant de se débarrasser du corps de Freddie, Tom s’empresse de rôtir son poulet puis de le dévorer sans un regard pour sa nouvelle victime. Tom n’est qu’un prédateur, un monstre social qui veut sa part du gâteau. Dépourvu de remords, il arrive à ses fins jusqu’à ce que l’étau se resserre autour de lui.
Version Minghella : Ripley, roi de l’improvisation
Dans cette version, Tom Ripley nous raconte le point de départ de son imposture. On découvre la rencontre avec Greenleaf père, mais aussi les complexes sociaux vécus par Tom. Tout commence par une veste de Princeton. Tom remplace au pied levé un pianiste blessé à la main. Il lui emprunte sa veste pour honorer le contrat musical à sa place lors d’une réception et c’est là qu’il rencontre Herbert Greenleaf. Prenant Tom pour un ancien camarade de son fils, le riche industriel l’envoie en Italie pour le ramener auprès de lui à San Francisco. Pour Ripley, c’est une chance à saisir d’autant qu’il y a 1000 $ à la clé. Tom est un jeune homme effacé, pauvre mais intelligent. Il joue le jeu et apprend à être un autre pour vivre ce rêve éveillé. Le personnage est sensiblement différent de celui interprété par Delon. Matt Damon n’est absolument pas calculateur. Tout, chez lui, est dicté par le hasard et les émotions. Il n’en est pas moins malin. Ripley est dans l’improvisation constante. Il joue des circonstances et saisit les opportunités. Tom veut être ami avec Dickie Greenleaf (Jude Law) pour toucher à ce monde de paillettes mais aussi pour être accepté socialement par un groupe. Il aime l’ambiance festive qui règne autour de Dickie et pour rester il accepte sans rechigner la manigance proposée par celui-ci : faire croire au père qu’il tente de convaincre son fils alors que les deux garçons s’amusent aux frais du patriarche. Mais la fête ne dure qu’un temps.
Relation d’amour et de haine entre Tom et Dickie
Alors que la relation entre Alain Delon et Maurice Ronet était très claire chez René Clément (fausse amitié et vrai rapport financier), elle est assez trouble chez Minghella. L’ajout de l’homosexualité dans l’histoire permet de jouer sur la duplicité du personnage. Les motivations de Tom sont autant sociales que sentimentales. Le jeune homme est clairement amoureux de Dickie. Tom voue une admiration sans borne pour Dickie, il lui est soumis de manière déraisonnée. Dickie méprise cette dévotion malsaine mais l’utilise aussi comme faire-valoir. Il aime être adulé et jouer avec les sentiments qu’il suscite chez les autres. Leur relation est masochiste et perverse. C’est la crise de jalousie de Tom qui va déclencher l’affrontement sur le bateau. Ici, nous ne sommes pas face à un meurtre crapuleux mais plutôt confrontés à un crime passionnel. Tom apprend que Dickie et Marge vont se marier. Rejeté par Dickie qui répugne cet amour, Tom frappe son ami dans un accès de folie. L’ayant blessé, il n’a plus le choix : il doit le tuer pour se préserver d’une humiliation publique.
Après le meurtre, Tom est pris pour Dickie par un maître d’hôtel. C’est là qu’il comprend qu’il peut être Greenleaf et que l’imposture prend forme. Mais il risque trop souvent d’être démasqué. La seule solution pour lui est la fuite avec son nouvel amour, Peter. Malheureusement, le seul être à réellement aimer Tom devient la victime tragique d’un cercle criminel dont il ne peut se défaire.
Revue de détails
Les deux adaptations ont des différences notables, changeant partiellement le nœud de l’intrigue et la dimension symbolique.
Le personnage de Marge :
Marge version Marie Laforêt est assez distante avec Tom Ripley. Elle n’apprécie pas son intrusion dans la vie privée du couple. Mais elle éprouve tout de même de la compassion pour ce jeune homme humilié continuellement par un Philippe lunatique et taquin. C’est seulement après la mort de son amant, qu’elle se rapproche de Tom. C’est une femme sensible qui a du caractère. Férue d’art italien et de musique, elle perpétue la tradition des filles bourgeoises élevée dans la culture. A l’inverse, Gwyneth Paltrow, qui interprète Marge chez Minghella, est assez lisse. Elle perd un peu de la pertinence qu’avait Marie Laforêt. Elle n’a ni profondeur, ni aspérités. Elle ne fait rien de ses journées et vit en femme bafouée par les infidélités de Dickie. Cette Marge-là voit en Ripley un ami et un confident qui comble les absences de son compagnon. C’est seulement vers la fin qu’elle commence à douter de Ripley. Bien trop tard malheureusement.
L’identité :
L’usurpation d’identité est d’autant plus facile dans Plein Soleil que Delon et Ronet se ressemblent physiquement. Ce sont de beaux bruns aux yeux bleus qui plaisent aux femmes. Seul l’argent les sépare. Dans Mr Ripley, Matt Damon n’a aucun point commun physique avec Jude Law. C’est donc à la fois une revanche sociale mais aussi physique pour un homme complexé par son style trapu, son air commun et de grosses lunettes qui l’encombrent. La référence à Clark Kent (Superman) rappelle un jeu de dupes où Ripley rêve d’être un autre. Tom dissimule sa vraie personnalité derrière ses binocles.
L’utilisation du sac :
Alors que le sac en cuir était un signe ostentatoire de richesse dans Plein Soleil avec Delon qui l’exhibait pour montrer sa réussite sociale, il est synonyme de pauvreté dans Mr Ripley. En effet, il est le seul bien que possède Matt Damon. C’est son seul bagage quand il arrive en Italie et il s’en sert pour attirer l’œil de Dickie sur sa supposée passion pour le jazz. Le sac est utilisé comme arme de séduction.
Le suicide de Silvana :
Le corps de Silvana, maîtresse de Dickie, est retrouvé flottant dans l’eau pendant une cérémonie religieuse. On apprendra qu’enceinte elle s’est donnée la mort après que Dickie ait refusé de l’aider. Cette mort préfigure déjà celle de Dickie, coupable d’apporter le malheur chez ceux qui l’aiment. Dans Plein Soleil, la scène prémonitoire serait plutôt celle des étals de poissons à Mongibello comme une évocation du vide émotionnel du personnage. Cette scène précède la mort de Freddie, comme si le crime allait devenir irrémédiablement récurrent.
Autres personnages :
Deux personnages qui n’existaient pas chez René Clément font leur apparition dans le film de Minghella : Meredith (Cate Blanchett), une riche héritière qui croit fréquenter Dickie Greenleaf et Peter, le nouvel amant de Tom. Tous les deux marquent l’ambiguïté sexuelle de Tom qui se trouve perdu dans son choix amoureux. Il courtise Meredith car c’est le moyen d’être un autre (Dickie) et de jouer les séducteurs. Mais la rencontre avec Peter va déterminer son choix sexuel définitif. Meredith ne devient alors qu’un simple jouet dans le plan échafaudé par Tom.
Verdict
Malgré un même scénario, tout oppose les deux héros. Alors que dans Plein Soleil, Tom est un être diabolique qui prémédite son crime grâce à un plan méticuleusement élaboré, le Ripley de Minghella est poussé au meurtre par les circonstances. Delon joue un personnage froid et sans remords qui prend une revanche sociale. A l’inverse, Matt Damon a une personnalité plus complexe. Il est guidé par ses émotions. Son homosexualité plus ou moins refoulée explique en grande partie le drame. Ce Tom Ripley-là a une plus grande capacité à évoluer. Il passe du gentil jeune homme serviable brimé socialement à un amoureux éconduit, criminel par la force des choses, puis à un véritable meurtrier calculateur. Malgré ses remords et les crimes qui le hantent, il continue à tuer pour ne pas être découvert. En laissant le personnage nous raconter son histoire, Minghella rend son Ripley plus humain. Il nous laisse penser que son héros a des circonstances atténuantes. Par conséquent, on se sent plus proche du personnage de Matt Damon que de celui de Delon, criminel de sang froid.
Si dans l’adaptation, les deux versions se valent largement, on regrettera juste une réalisation trop classique chez Minghella et quelques personnages peu étoffés comme ceux de Marge et de Freddie. Ce qui manque également c’est la photographie magnifique de Plein Soleil avec sa mer bleu azur et l’ambiance de Dolce Vita que n’a pas du tout su retranscrire le remake. René Clément avait su restituer la beauté de l’Italie, lieu d’art, de danse et de culture. La musique de Nino Rota, bien sûr, y était pour beaucoup.
Analyse parfaite ! Pour une fois, un remake n’est pas énervant car il a su s’éloigner suffisamment de son original. Et de fait, on regrette le personnage de Marge et la magnifique photo dans le second film.
Merci. Oui, c’est une adaptation intéressante même si « Plein Soleil » reste unique.