ORIGINAL VS REMAKE : LE VILLAGE DES DAMNÉS de Wolf Rilla (1960) / LE VILLAGE DES DAMNÉS de John Carpenter (1995)

LE VILLAGE DES DAMNES OVSR

L’histoire

Dans la campagne anglaise des années 60, le village de Midwich est victime d’un évènement étrange : tous les habitants s’évanouissent au même moment et restent inanimés pendant plusieurs heures. A leur réveil, militaires et scientifiques sont sur place pour étudier le phénomène. Quelques semaines plus tard, toutes les femmes du village en âge de procréer sont miraculeusement enceintes…

Des enfants démoniaques

Qui sont-ils ? D’où viennent ils ? C’est d’abord leur physique qui intrigue : de type aryen, cheveux blonds et yeux clairs, ils se ressemblent tous. Ce qui surprend c’est leur aplomb face aux adultes. Ils ne connaissent ni le sentiment, ni la morale et se considèrent au-dessus des lois. Ils ne font aucun compromis : si on les attaquent, ils tuent. Dans son film, Wolf Rilla renverse les codes de l’éducation anglaise. Les enfants, petits blondinets parfaits aux visages angéliques et à l’élégance soignée, sont en réalité des monstres sanguinaires qui dominent les adultes par leur intelligence et leur clairvoyance. En quelque sorte, le film met en scène la vengeance des enfants envers les adultes. Ils leur renvoient la froideur d’une éducation trop rigide. Le fait que la cruauté passe par les enfants est aussi le moyen de montrer que la société est elle-même responsable des monstres qu’elle engendre. Ces créatures ne faiblissent jamais et ne sont touchées par rien. Le seul moment où ils expérimentent enfin le sentiment de peur arrive bien trop tard : la mort surgit sans qu’ils aient le temps de réagir.

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Le message politique sous-jacent

Adapté du roman de John Wyndham, The Midwich cuckoos, le film se veut politique. C’est l’occasion de montrer la cruauté des autres. « L’autre » est à la fois l’étranger qui envahit l’Angleterre, mais aussi l’ensemble des pays qui ont une autre culture. Le film se permet d’évoquer les méthodes radicales des autres gouvernements, notamment communistes. Ainsi, la Russie, voulant tester sa nouvelle arme atomique, choisit de tuer tout un village pour supprimer ces drôles d’enfants. Dans une autre bourgade russe, les enfants ont été massacrés juste après leur naissance. Enfin, chez les Esquimaux, on les a tué parce qu’ils étaient physiquement différents. L’Angleterre, représentée comme « moins sauvage » grâce au personnage de Gordon (George Sanders), doit aussi prendre une décision. Tous s’accordent sur le fait que les enfants représentent un danger. Seul Gordon veut leur laisser une chance, croyant pouvoir leur inculquer la morale. Cependant ces créatures, « venus d’ailleurs », veulent forcément du mal aux humains. Leur but est de fonder des colonies un peu partout dans le monde pour dominer la Terre. C’est donc par souci de préservation de l’espèce humaine que le sacrifice de Gordon et la mort des « autres » sont inévitables.

Le film illustre bien le contexte de guerre froide de l’époque. Les enfants se comportent comme des étrangers retranchés en communauté et forment un bloc infranchissable. En s’immisçant dans la vie (et le corps) des villageois, ils représentent la menace communiste qui va jusqu’à s’insinuer dans l’esprit des gens. Le barrage mental que créé Gordon avec un mur de briques intervient comme le symbole d’une détermination anti-communiste. Le physique aryen des enfants permet d’assimiler le communisme au nazisme et d’y voir le nouveau mal de la société. Par conséquent, malgré son humanité, Gordon n’a pas le choix : il doit éradiquer le mal au péril de sa vie. Son acte héroïque sauve le monde.

Remake américain de Carpenter : la revanche des femmes 

Ça commence comme un bon vieux téléfilm des familles avec des couples heureux, une fête de village, des ballons et un barbecue. Puis, c’est le black out. Au réveil, tout ce qui semblait idyllique devient un véritable cauchemar. Certains personnages qu’on venait de découvrir dans la scène d’exposition ont explosé ou ont carbonisé, comme Franck dans un accident de voiture ou Oliver avec son barbecue. Alan Chaffee (Christopher Reeves), professeur et médecin, découvre ce premier carnage, abasourdi. C’est là qu’intervient, Susan Verner (Kirsty Hailey), une épidémiologiste sortie d’on ne sait où, arrogante et cynique. Alors que toutes les opérations étaient gérées par les hommes chez Rilla, les femmes reprennent la main chez Carpenter. Susan Verner dirige les équipes au titre du gouvernement sans aucun état d’âme pour les enfants. C’est le symbole de la femme indépendante, solitaire et anti-maternelle. Elle est en totale opposition avec les femmes du village. Pendant que celles-ci subissent cette maternité non désirée (malgré des possibilités d’avortement), Susan regarde ce spectacle d’un œil suspicieux fumant clope sur clope. Dans la scène des accouchements multiples, elle déambule, vêtue de noir, dans le couloir comme un ange de la mort. Le seul moment où elle redevient une femme « source de vie », c’est pour accoucher un enfant mort-né (celui de Mélanie). Ensuite, elle annonce la mort du bébé avec froideur et s’empresse de voler le cadavre pour le disséquer. Un peu plus tard, les enfants se vengeront de cette femme de glace en l’obligeant à se mutiler elle-même le ventre.

De même, ce n’est pas David, comme dans le premier film, qui est le leader des enfants mais Mara, la fille d’Alan. Diabolique, celle-ci condamne les humains sans aucune pitié. Elle pousse sa mère au suicide et décide de vie et de mort sur ces congénères. Enfin, la révolte villageoise contre les enfants est menée par une femme, à la différence du film de Rilla. Mais la domination ne sera jamais totale, chacune de ces « leadeuses » finira par mourir. Seule survivra, Jill, mère de David, qui a réussi à changer son fils grâce à son amour maternel. Le film se termine donc par l’espoir.

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David : l’espoir

David est l’un des étranges blondinets extraterrestres. Mais contrairement aux autres, il est curieux de connaître les sentiments qu’éprouvent les humains. Ainsi, peu à peu, il devient lui-même humain, expérimentant la douleur de perdre un être cher et en offrant son affection à autrui. Par cela, il devient une menace pour le groupe. Mara envisage de se débarrasser de lui d’autant que le pendant féminin qui lui était destiné est mort à la naissance. Il ne pourra donc s’accoupler avec personne pour coloniser la Terre. Le personnage de David est la preuve que les êtres peuvent changer, il a donc le droit de vivre.

Le Village des damnés de John Carpenter

Une réalisation très convenue

Dénuée de tout contexte politique, cette version du Village des damnés redevient un simple film d’horreur où Carpenter distille quelques scènes gores histoire de marquer ce remake de son empreinte. On a donc droit aux corps outrageusement mutilés et carbonisés. Le réalisateur choisit également de montrer le réel visage des extraterrestres grâce au bébé mort-né conservé dans le formol. On découvre alors une sorte de mini-Roswell. A part ça, rien de très novateur d’autant que Carpenter reprend trait pour trait les principales scènes de l’original comme la scène du soldat utilisé comme cobaye, le bébé qui ébouillante sa mère, l’homme et son fusil, et la révolte qui finit par une immolation. En revanche, on retrouve un peu Carpenter dans des scènes telles que le prêtre qui tente de fusiller les enfants (utilisation d’une figure respectable pour accomplir des actes cruels comme dans la scène finale avec le président dans New-York 1997) et les officiers de police qui s’entretuent (scène clin d’œil à Assaut).

Verdict 

On a connu John Carpenter plus inspiré… En effet, le réalisateur de The thing, Halloween, FogInvasion Los Angeles et de bien d’autres pépites, nous sort un remake plutôt moyen. Première erreur, il reprend trait pour trait les principales scènes de l’intrigue en les sortant de leur contexte. Deuxième erreur, il ajoute des scènes gores inutiles qui n’apportent absolument rien à l’histoire. Enfin, le casting est un peu mou du genou. Donc, c’est sans hésiter qu’on vote pour l’opus propagandiste de Wolf Rilla. Malgré son côté anti-coco, le film fait son petit effet.