ORIGINAL VS REMAKE : L’INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES de Don Siegel (1956) / L’INVASION DES PROFANATEURS de Philip Kaufman (1978)

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Copyright Action Cinémas / Théâtre du Temple

L’histoire

A Santa Mira, petite ville californienne, le Dr Miles Bennell est témoin d’évènements très étranges : des ersatz d’êtres humains prennent, peu à peu, le visage de ses proches. Une fois la mutation complète, rien ne les différencie des vrais hommes si ce n’est leur absence de sentiments. Rapidement, toute la ville est atteinte. Bennell arrivera t-il à échapper à ces « clones » pour prévenir le reste du monde et endiguer le mal ?

 

L’ennemi est parmi nous

Tout commence par des semences venues de l’espace atterrissant dans un champ. Celles-ci ont engendré des cosses géantes dont la faculté est de reproduire toute forme de vie. Mais ces copies humaines sont des êtres vidés, sans conscience propre. La mutation se répand comme une traînée de poudre. Pourtant, ces troublants « clones » se contentent juste de répliquer l’humain. Ils ne sont pas violents, ne tuent pas et ne cherchent pas à conquérir le monde. Mais le danger est bien réel. L’idée est de neutraliser la pensée et les souvenirs pour pacifier le monde. Difficile de ne pas y voir la peur du communisme. Le principe même d’invasion illustre la métaphore. Il s’agit d’un mal insidieux, compliqué à détecter au premier abord. Les clones prennent la place des vrais gens et suppriment toute pensée individuelle et tout sentiment. Ainsi, l’amour, le désir, l’ambition, la foi, tout ce qui nourrit les sociétés capitalistes est noyé dans une idéologie de masse. Il y a des images significatives comme celle des gens transportant leur cosse mécaniquement ou la foule poursuivant Miles et Becky, les deux derniers réfractaires. Le film suscite la paranoïa chez le spectateur au détour de plusieurs phrases : « Nick est passé de l’autre côté » ou lorsque l’on parle d’« effets de radiations atomiques » ou d’une « organisation malfaisante » comme possibles origines du mal. Il y a aussi ce gros plan sur Bennell nous prévenant face caméra : « Ils sont déjà là. Maintenant c’est votre tour ». En substance, le film est un avertissment : l’ennemi communiste s’insinue en silence dans votre esprit, méfiez-vous. Tout est fait sournoisement et en douceur. Le fait de ne pas s’endormir pour éviter la mutation confirme l’idée de lutter contre une anesthésie de l’esprit.

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Copyright Action Cinémas / Théâtre du Temple

 

Malédiction de l’amour

L’invasion des profanateurs de sépultures est aussi une histoire d’amour maudite. Miles Bennell, médecin de campagne, revient dans sa ville natale après une tournée de visites. C’est l’occasion pour lui de retrouver Becky, son amour de jeunesse, de retour d’Angleterre il y a peu. Ils se sont aimés autrefois puis se sont séparés sans qu’on ne sache vraiment pourquoi. Puis, chacun s’est marié et a vite divorcé. Ce sont donc deux résignés de l’amour qui se retrouvent enfin pour une seconde chance. La mésaventure extra-terrestre les aide à se rapprocher. Mais chaque fois, leur amour est en danger. D’abord, Becky manque d’être clonée par les cosses mais est sauvée, in extremis, par Miles. Puis plus tard, elle finit par succomber à la fatigue et donc à la mutation. Leur amour semble condamné. On ne sait même pas si Miles pourra retrouver un jour la Becky qu’il a connue.

invasion amour

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L’espoir

Miles, désormais seul contre tous, doit quitter la ville pour chercher de l’aide. Dans la narration du film, Miles, arrivé dans une commune voisine, raconte son histoire aux médecins sceptiques et à nous, spectateurs. L’espoir est donc là : traverser les frontières et prévenir le monde qu’un fléau nous guète tous. L’image de Miles, poursuivi par le troupeau de clones et courant entre les voitures impassibles à ses avertissements, montre à quel point le déconditionnement des hommes sera difficile. Bien heureusement, un infirmier confirmera la présence de cosses dans un camion. Le FBI pourra entrer en scène et Miles devenir un héros.

Version Philip Kaufman

Donald Sutherland prend la place de Kevin Mc Carthy dans le rôle de Bennell. Prénommé Matthieu, il n’est pas médecin mais inspecteur de l’hygiène à San Francisco. Matthieu travaille avec Elizabeth, une amie de longue date. Le film démarre par la vue des semences venues de l’espace se greffant sur des plantes existantes. Elizabeth, biologiste, rapporte chez elle une des fleurs engendrées pour l’analyser. Le lendemain, son petit ami change de comportement. Distant et froid, il n’est que l’ombre de lui-même. Mais Bennell ne la croit pas. Il fait appelle au psychiatre David Kibner (Leonard Nimoy, le Mr Spock de Star Trek) pour éclaircir tout cela. Kibner pense qu’elle agit ainsi pour nier sa responsabilité envers sa vie de couple. C’est seulement à la découverte d’un cocon renfermant la réplique de Jack, un ami (Jeff Goldblum), que Bennell commencent à croire à l’affaire.

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 L’abrutissement de l’esprit pour répondre à une société qui se délite

Le discours de ce remake est plus complexe que l’original. L’histoire n’est pas aussi manichéenne que dans la première version. Entre Kibner, le psy très cartésien et cynique concernant la vie de couple, et Nancy, qui vit dans une psychose paranoïaque, qui croire ? Et c’est bien là que réside la force du film : éviter toute solution clichée pour soigner le mal de la société. A plusieurs reprises, on évoque la déliquescence du monde des années 70 : la perte des valeurs, les couples qui se font et se défont, la pollution, la malbouffe…  Les repères sont flous dès le début. Il y a d’abord ce prêtre dans le parc (Robert Duvall) les yeux dans le vide, sur une balançoire. Puis, on constate aussi le désintérêt des institutions (le maire, Washington, la police…) qui n’interviennent pas prétendant que le mal va se résorber de lui-même. La mutation est perçue comme une renaissance physique et spirituelle. En supprimant toute pensée et tout souvenir, l’invasion des cosses est vue comme un moyen de pacifier le monde. A la fin, il n’y a pas de solution. Tous sont vampirisés par le mal et la voie est sans issue.

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Revue de détails 

Personnages secondaires :

Les personnages secondaires sont très intéressants car troublants. Avec Kibner par exemple, naturellement froid et sans émotions, on ne sait jamais de quel côté il est. Il ne se dévoilera qu’au milieu du film comme une aide à la propagation maléfique. Autre personnage : Jack (Jeff Goldbloom). C’est le personnage intelligent, sain d’esprit, à la répartie cinglante. Il est en totale opposition avec ce qui se passe. Il représente la résistance intellectuelle à une culture de masse. C’est la raison pour laquelle il est idéologiquement l’ennemi de Kibner.

La saleté:

On peut remarquer une prédominance de la saleté dans certaines scènes. Le camion d’ordures stationné de manière prémonitoire semble annoncer le danger. Le véhicule, extrêmement sale, est le reflet d’une ville polluée. De même, les bains-douches de Nancy, la petite-amie de Jack, sont d’une saleté écoeurante. C’est là qu’on découvrira le premier corps. On voit également que le restaurant visité par Miles est infesté par les rats. L’invasion n’arrive t-elle pas comme une punition biologique ? N’est-ce pas la vengeance d’une nature que l’on méprise ?
 

Clin d’oeil :

On peut remarquer un petit clin d’œil au film original avec l’apparition de Kevin Mc Carthy (le Bennell de 56). Celui-ci surgit de nulle part et annonce le danger dans les rues de San Francisco avant de se faire renverser par une voiture. Drôle d’écho pour celui qui, la première fois, avait pu sauver le monde. Ici, il ne semble pas y avoir d’échappatoire. Ainsi, Kevin Mc Carthy gît dans son sang devant des badauds sans âme.

Verdict

L’original était déjà pas mal et le remake est d’aussi bonne qualité. Si la première histoire surfe sur la vague anticommuniste de l’époque, la deuxième est une métaphore sur les maux de la société. Un peu moins politique mais tout aussi captivant, L’invasion des profanateurs ouvre une réflexion sur le sens à donner à sa vie et porte un regard lucide sur un monde malade. Ce sont deux bons films de science-fiction mais il est vrai que le remake a un meilleur sens du suspense et un final plus marquant. 

Original : 7/10 Remake : 7/10