ORIGINAL VS REMAKE : LE DEUXIÈME SOUFFLE de Jean-Pierre Melville (1966) / LE DEUXIÈME SOUFFLE d’Alain Corneau (2007)
Pitch
Gustave Minda, dit Gu, grande figure du banditisme parisien vient de s’évader de prison où il a été incarcéré dix ans pour l’attaque du « Train d’or ». Il retrouve Manouche, son ex-compagne, fraîchement veuve, avec laquelle il prévoit de quitter le pays. Pour financer sa cavale, il accepte un dernier casse à Marseille avec son ami Paul Ricci, le frère de son pire ennemi Jo. Mais le commissaire Blot traque Gu en fin limier…
Gu, gangster vieillissant en proie aux doutes
Après dix ans passés en centrale, Gu, 46 ans, s’évade avec deux co-détenus. Durant l’évasion, on voit déjà la difficulté qu’il a à franchir le mur de la liberté. Alors que l’un des évadés meurt après sa chute, les deux rescapés parviennent à monter dans un train. Mais là encore, Gu montre quelques signes de faiblesse lorsqu’il doit grimper dans le wagon. La prison semble l’avoir épuisé mentalement et physiquement. En retrouvant Manouche et son fidèle garde du corps Alban, Gu retombe de plain-pied dans le petit monde des malfrats. A peine de retour, il doit liquider les petites frappes que Jo Ricci a envoyés pour importuner Manouche. Jo est un caïd parisien, propriétaire d’un night club, dont Gu veut limiter l’influence. Avant de quitter la ville, il décide de tuer son ennemi. Mais notre héros semble avoir perdu confiance. Dans la voiture d’Alban qui le conduit au crime, Gu est inquiet et angoissé. Finalement, il annulera l’embuscade prétextant se sentir mal. Son instinct lui donne raison car le commissaire Blot et son équipe l’attendaient de pied ferme. Gu paraît victime d’une crise de confiance. On dirait qu’il ne se sent plus capable d’assumer son statut de gangster même si tout le pousse vers cette voie. Quand il prépare le braquage avec ses complices, il rechigne à tuer. Les autres braqueurs, Antoine Ripa et Pascal Leonetti, voient en Gu un gangster de la vieille école, un peu dépassé. Ils pensent que la prison l’a affaibli et qu’il est sur le point de craquer. Ils n’ont pas tout à fait tort. Même s’il est revenu, Gu a l’air un peu résigné. Comme il le dit à Manouche d’un ton fataliste : « J’ai joué, j’ai perdu ». Il est piégé, incapable de sortir de ce cercle criminel dans lequel le destin le plonge irrémédiablement.
Hasard et fatalité
Le hasard est l’une des composantes du cinéma Melvillien : dans Le cercle rouge, le hasard réunissait un détenu en cavale et un taulard tout juste libéré, pour une course folle. Dans le Samouraï, ce même hasard laissait un tueur à gage et son témoin oculaire se tourner autour jusqu’à ce que la fascination de l’un pour l’autre prenne une issue fatale. De même, les jeux de hasard vampirisaient Bob le flambeur. Ici, le hasard est autant providentiel que funeste. Gu, en quête d’argent pour financer sa fuite avec Manouche, se voit proposer un braquage au gain faramineux. Cette offre inopinée est le moyen pour lui de prendre un nouveau départ. Cet ultime casse pourrait lui permettre de tirer un trait définitivement sur sa vie de gangster. Malgré ses craintes, Gu et ses complices exécutent leur plan comme prévu. Puis chacun prend sa part. Gu n’a plus qu’à préparer son départ. Mais il est piégé par Blot et la police marseillaise qui réussissent à enregistrer ses aveux par des moyens détournés. Au commissariat, Paul Ricci croise Gu que la police fait passer pour une balance. L’affaire fait la une des journaux. Gu s’évade pour laver son honneur.
Un héros tragique
Chez Melville, même si le hasard fait bien les choses, le héros provoque souvent sa propre chute. Dans le Deuxième souffle, c’est l’orgueil de Gu qui le perdra. Alors qu’il pourrait partir vers une autre vie sans se retourner, il cherche obstinément à faire démentir les rumeurs le désignant comme indic de la police. A ce moment-là, plus rien ne compte, ni la fuite avec Manouche, ni l’argent. Il reste enfermé jusqu’au bout dans sa logique de truand réglo qui ne balance pas. Il est prêt à tout pour cela, même à faire rédiger des lettres de démenti par le flic marseillais qui l’a piégé. D’ailleurs, il se raccroche pathétiquement à ses carnets d’aveux alors que le sort en est déjà jeté. Plus tard, il s’engouffre dans une spirale meurtrière dont il connaît déjà l’issue. C’est le destin du héros Melvillien : dans Le Samouraï, Alain Delon s’abandonne à la police après avoir succombé à sa fascination pour la femme témoin du meurtre et dans Le Doulos, Reggiani et Belmondo voient leur relation d’amitié et de haine les mener inéluctablement vers la mort. Ce sont des héros littéralement suicidaires.
Un film noir à la française
Melville n’a jamais caché son admiration pour le film noir américain. Les films de John Houston, Howard Hawks, Robert Wise ou William Wyler l’ont beaucoup inspiré. On retrouve cette ambiance mystérieuse, mais du coup pas forcément très réaliste, des films de gangsters. On retrouve régulièrement dans ses films cette ambiance feutrée des boîtes de nuit, l’homme à l’imperméable, son stetson (objet fétiche de Melville) et surtout le fatalisme du film noir. Mais il y a tout de même une part bien française, chez Melville, marquée par des dialogues mélangeant habilement ironie et nonchalance. Le personnage portant le mieux cette particularité est Paul Meurisse (commissaire Blot) qui nous gratifie d’une performance mémorable et hilarante résumant bien l’ambiance du film noir à la française.
Un beau casting pour des personnages attachants
Outre un excellent scénario et des dialogues mythiques, le casting est l’autre force du film. Lino Ventura joue un Gustave Minda étonnement tout en retenue. Il est moins sanguin que dans ses rôles habituels. Ses silences marquent à la fois ses doutes, sa résignation et sa révolte. Face à lui, il y a Manouche interprétée par Christine Fabréga, une gangster à talons hauts, aussi élégante que pertinente. Elle trouve toujours des solutions pour sortir Gu du pétrin et représente pour lui une porte de sortie. Alban, joué par le flegmatique Michel Constantin, est leur homme de main. C’est un personnage rassurant pour Gu. Preuve en est la scène où Alban lui offre son arme pour lui redonner confiance en lui. L’autre personnage marquant est Blot (Paul Meurisse), flic à l’air débonnaire mais finalement intraitable, dont on suppose qu’il a eu une brève histoire avec Manouche. On remarque cette scène étrange où Blot et Manouche se tutoient, l’espace d’un instant, jusqu’à ce qu’un inspecteur les interrompe. On décèle dans le ton de Blot une certaine nostalgie, mais aussi un regard pessimiste sur les femmes. Manouche, au centre de toutes les attentions, est en réalité vecteur de tous les drames.
Comment adapter Melville sans tomber dans la caricature de la pègre ? On sait qu’il fuyait tout réalisme pour finalement recréer un univers de gangster américano-français. C’était original et cela fonctionnait. Donc, soit on se démarque totalement de l’influence US pour revenir à un premier degré hyper réaliste, soit on copie-colle l’original et la gouaille qui va avec. Alain Corneau a joué dangereusement en faisant un peu des deux. Il a tout pris de l’original comme les postures statiques des gangsters américains, les imperméables, les stetsons, même les mimiques de Blot du genre « on ne me la fait pas », mais il a retiré l’humour pour ne garder que la gravité. On se retrouve donc avec un Deuxième souffle un peu ovni, hors du temps, mécanique et parfois assez hermétique.
Un casting bizarre…
Daniel Auteuil joue Gu, Monica Belluci est Manouche, Michel Blanc interprète Blot et Eric Cantona est… Alban. Ce casting improbable n’aide pas à sauver le film. La complicité entre Gu, Manouche et Alban est inexistante. Cantona est constamment à côté de la plaque et Manouche est transparente, complètement désincarnée. Seul Daniel Auteuil s’en sort bien. Dans cette adaptation, il n’y a pas la remise en question interne du personnage qui marquait l’original. On ne réussit pas vraiment à pénétrer l’intériorité de Gu. De même, les relations entre les personnages sont très distantes et superficielles. C’est sans doute dû à un jeu très figé. La distribution s’enrichit de quelques têtes connues pour les rôles secondaires : Jacques Dutronc joue Orloff, le bienfaiteur anonyme et énigmatique de Gu. Mais le mystère du personnage est maladroitement entretenu par l’acteur qui n’est pas très impliqué. Enfin, Nicolas Duvauchelle, alias Antoine Ripa, surjoue un peu le gangster.
De la violence Tarantinesque
En 2007, on est forcément moins pudique qu’en 1966 concernant la violence. Du coup, on peut se lâcher ! Alain Corneau a la maladresse d’appuyer lourdement sur les scènes de meurtres. Entre les gros plans sur des doigts qui explosent ou les giclées de sang au ralenti, nous avons droit à tous les détails. Cela rappelle Tarantino, le second degré en moins. Et c’est bien là le problème. Les couleurs sont exagérément accentuées : les rouges très rouges, les jaunes très jaunes et il y a une sorte de filtre orange censé recréer l’atmosphère intimiste des night clubs. Tout semble irréel et artificiel.
Verdict
C’est sans appel. Le Melville est à voir et à revoir (pour ma part, une bonne dizaine de fois) tandis que le Corneau (paix à son âme) est à oublier. Les acteurs interprètent leurs rôles sans conviction et les dialogues sont beaucoup trop plats pour faire de l’ombre à l’original. La réalisation, bien trop lourde, nuit au récit. Les deux films font la même durée (2h30) et pourtant, le remake semble interminable par rapport à l’original.
tout à fait d’accord avec l’analyse, le film de 2007 est un pâle plagiat à l’interprétation fade. On aurait aussi pu parler du mauvais Blanc qui ose chausser les chaussures de Paul Meurisse. Quand on est aussi médiocre, on s’abstient de s’attaquer à un chef d’œuvre de Melville !
J’aime beaucoup Michel Blanc mais la c’est effectivement une catastrophe. Je pense qu’il s’agissait d’un problème global de direction d’acteurs puisque tous jouent plus ou moins faux. Très étonnant de la part d’Alain Corneau. Mais je pense que les films de Jean-Pierre Melville sont impossible à remaker.