MELANCHOLIA de Lars von Trier (2011)
Justine et Michael viennent de s’unir pour le meilleur et pour le pire. Pour cette grande occasion, Claire, la sœur de la mariée, a organisé une fastueuse réception dans son joli manoir où se croisent parents, amis et relations professionnelles. Cependant, malgré l’euphorie ambiante, Justine semble constamment ailleurs, comme détachée du réel. Et pendant que les uns et les autres règlent leurs comptes, la planète Melancholia se dirige tout droit vers la Terre…
Après le sulfureux (et insupportable) Antichrist, Lars Von Trier revient avec une oeuvre éminemment plus délicate, magnifique jeu de massacre à la partition vertigineuse. Le film prend la forme d’un diptyque confrontant les portraits des deux soeurs, Justine (Kirsten Dunst, prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes pour son rôle) dans une première partie rationnelle et triviale, et Claire (Charlotte Gainsbourg) dans un chapitre apocalyptique. Dans le prologue Wagnerien qui ouvre Melancholia, Lars Von Trier offre le spectacle terrifiant de personnages pris au piège d’une nature hostile et tentaculaire. On pense déjà à Tree of life de Terrence Malick, à sa poésie visuelle héritée de 2001, mais à son élitisme aussi. Pourtant, contrairement au film somme et parfois pompeux de Malick, Melancholia recèle de cette universalité qui peuple le cinéma métaphysique. Dans sa première partie, le film est submergé par un bonheur qui s’affiche sur le moindre coin de table. Maais les sourires forcés cachent mal le malaise qui plane sur le clan familial. C’est la mère de Justine (Charlotte Rampling merveilleusement exécrable) qui ouvre les hostilités, crachant son venin sur l’institution du mariage et l’amour en général. C’est là que Justine s’échappe, comme si elle n’avait attendu que cela : que quelqu’un jette un pavé dans la marre, transgresse les règles et l’autorise à fuir. Cette partie du film renvoie inévitablement à Festen de Thomas Vinterberg et sa « Dogmatique » caméra à l’épaule déambulant parmi les hommes pour en extraire toute la sauvagerie. Mais Melancholia n’est pas un film Dogma, il est plus esthétique, plus nuancé et définitivement plus complexe. Tout y est suggéré, disséminé par petites touches, esquissé à coup de jeux de lumière. A l’image de la limousine qui ne réussit pas à franchir l’entrée du domaine : Justine ne rentre pas dans les cases, elle n’est jamais à sa place, comme une pièce rapportée par erreur. Durant son absence, les convives ruminent leur impatience et dévoilent leurs petits travers : Michael, le marié attentiste ; Dexter (John Hurt) le père négligé ; John (Kiefer Sutherland), le beau-frère riche et terriblement radin; et Jack, le patron méprisable. Nous découvrons peu à peu les rapports difficiles qu’entretiennent les personnages entre eux, le mépris qu’ils s’adressent. Avec beaucoup de subtilité, Lars von Trier égraine le chapelet des vanités, mesquineries et autres faiblesses de l’être humain. Légère, constamment ailleurs, Justine survole ce microcosme féroce qui résume à lui seul la jungle sociale. La fin du monde, dont nous, spectateurs, sommes les seuls à connaître l’imminence, oblige à prendre de la distance face à des luttes de pouvoir finalement bien dérisoires.
© Christian Geisnaes
Mais le film explore surtout la relation tumultueuse entre les deux sœurs. Dans la première partie, Claire, l’épouse et mère de famille organisée, est dans une situation de contrôle. C’est une femme rationnelle, qui maîtrise les évènements. Dans ces gestes, tout est calibré pour satisfaire une obsession de la perfection. A l’inverse, Justine virevolte, ne tient pas en place, est instable. La mélancolie la submerge jusqu’à la couper du monde. Plus tard, dans la deuxième partie, les rôles s’inversent. Atteinte par une profonde dépression, Justine émerge de sa léthargie à mesure que Melancholia se rapproche de la Terre. Au contraire, Claire, dont la vie de famille se désagrège, perd pied. Dans ce mouvement circulaire où l’une prend la place de l’autre, le discours se fait plus lapidaire, comme si l’humain s’effaçait au profit de questions plus abstraites sur l’existence. Justine, apaisée, attend la mort comme une délivrance alors que Claire pleure son bonheur interrompu par le destin. On est fasciné par la mise en scène grandiose et la finesse avec laquelle Lars von Trier évoque les difficiles relations humaines. Avec sa thématique du chaos, le cinéaste balaye d’un seul coup toute la superficialité du monde. On pense bien sûr à Dogville où la cruauté des personnages était tout aussi insidieuse. Pourtant, je n’ai pas tout aimé dans Melancholia, notamment ses ralentis oniriques pesants et sa lenteur démonstrative. Pire, durant un instant je l’ai même détesté car il me semblait par certains côtés prétentieux et interminable. Et puis, le film bénéficie d’un mauvais timing de sortie : trois mois après The Tree of life de Malick qui questionnait déjà la place de l’homme dans l’univers et quelques mois avant Take Shelter de Jeff Nichols dont le héros, angoissé par une tornade apocalyptique, ressemble aux sœurs névrosées que sont Justine et Claire. Passionnant dans sa peinture des rapports sociaux, le film peut pourtant décourager par son rythme extrêmement lent et sa forme inégale. Mais la nouvelle réalisation de Lars von Trier est tout de même une réussite car c’est une oeuvre qui ne s’oublie pas et dont on ne cesse de réinterpréter les images.
Titre VO : Melancholia/ Pays : Danemark / Durée : 2h10 / Distribué par Les Films du losange / Sortie le 10 Aout 2011
C’est vrai, une oeuvre même difficile à oublier 🙂