L’APOLLONIDE : SOUVENIRS DE LA MAISON CLOSE de Bertrand Bonello (2011)

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Entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle, une maison close nommée l’Apollonide voit défiler un petit cercle de notables parisiens. Sous les yeux des hommes assoiffés de chair, de jeunes naïades s’offrent dans leurs écrins de dentelles et velours. Mais derrière l’envoûtement des salons feutrés, se révèlent des femmes fragiles, désespérées et sans aucune illusion…

UNE MAISON CLOSE FIGÉE, EMPRISONNANT TOUTE LA BEAUTÉ ET LA MONSTRUOSITÉ DE SON ÉPOQUE

L’Apollonide est une sorte de tableau mouvant où Bertrand Bonello joue avec l’espace et le temps. On y découvre une galerie de personnages semblables aux muses de Gustav Klimt. Ces beautés aux seins nus, aux chevelures incandescentes et aux regards lascifs rappellent Judith, Danaé et autres Serpents d’eau. Tandis que dans les salons, s’affiche l’esthétique de Toulouse Lautrec, c’est L’Origine du monde de Courbet qui se dévoile dans les chambres. Les femmes de la maison close vivent dans une sphère temporelle ayant son propre rythme. A l’abri des évolutions du monde. Les scènes sont rejouées inlassablement, installant d’emblée la routine des femmes-objets. Chaque soir ressemble à tous les autres sans qu’il n’y ait jamais de possibilité de changement. Clotilde, épuisée, le dit très bien : elle pourrait dormir mille ans. Quant à Madeleine, elle avoue à un client que la maison évolue lentement. Tout est dit : il y a certes du mouvement à l’Apollonide, mais les personnages font du surplace. Les femmes de la maison attendent passivement un coup du sort, piégées par les dettes qu’entretient une tenancière vénale (Noémie Lvovky). Chacune espère être sauvée par un client philanthrope, mais les jeunes femmes ne récoltent que les pulsions animales et les déviances de leurs visiteurs

masculins. L’une d’elle, Madeleine, fera même l’objet d’une triste scénographie macabre et récoltera le surnom de « La femme qui rit » avec toute l’ironie que cela implique. Condamnée au sourire permanent, la voilà sujet à vie des fascinations malsaines. Cette image figée accompagne toute l’esthétique du film. Derrière la belle photographie, les costumes somptueux, les scènes picturales, il y a une réalité cruelle : la monstruosité des hommes, la marchandisation du corps et la chair malade. 

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              © Carole Bethuel

Mais ce que montre surtout le film c’est la position victimaire que prennent les femmes, sans jamais réellement tenter de s’en sortir. L’arrivée de Pauline, une jeune fille de 15 ans bien en chair et très motivée par le métier, va un peu bouleverser leur quotidien. Intriguée par ces prostituées, elle se pose en observatrice, les questionne et les amène à se raconter. Certaines voient dans la prostitution une activité comme une autre, alors que quelques unes aspirent mollement à un avenir meilleur. Bien sûr, Pauline joue le jeu, comme ses compagnes de galère, en se donnant aux hommes avec un certain détachement. Mais voilà qu’elle fait ce que personne n’a osé faire : partir. Aussi vite qu’elle est apparue, elle disparaît un beau matin, juste en franchissant la porte. Alors même que les autres se disent coincées par des dettes inventées de toute pièce par leur patronne. Cette petite révolte, aussi minime soit-elle, montre que les femmes sont seules maîtresses de leur destin. Celles qui restent sont celles qui acceptent de subir. Bertrand Bonello a judicieusement exploité l’ambiguïté de ces femmes grâce à son casting. Des actrices de la nouvelle génération (Hafsia Herzi, Adèle Haenel, Iliana Zabeth, Céline Sallette), modernes, spontanées, un peu garçons manqués, jouent avec les règles d’une époque très codifiée. Quelques points faibles, cependant, dans cet Apollonide : des split-screens qui brisent la narration et un retour glauque aux années 2000 pas vraiment indispensable. On peut également regretter l’absence d’émotion, comme si le film était piégé par son esthétique. Malgré cela, l’oeuvre de Bertrand Bonello reste un objet troublant et particulièrement fascinant.

Titre : L’Apollonide / Pays : France / Durée : 2h02 / Distribué par Haut et court / Interdit aux moins de 12 ans / Sortie le 21 Septembre