L’EXERCICE DE L’ETAT de Pierre Schoeller (2011)

Hasard du calendrier, deux films politiques sortent la même semaine au cinéma. D’un côté, Les marches du pouvoir, de et avec George Clooney, qui explore les coulisses d’une campagne pour les primaires démocrates. De l’autre, L’exercice de l’Etat, qui suit le quotidien d’un ministre des transports malmené par son gouvernement. Alors que l’un empreinte les chemins bien balisés du thriller hollywoodien, l’autre propose une réflexion profonde sur l’identité même du politique en France. En ce sens, le film de Pierre Schoeller, réalisateur de Versailles, intrigue et terrifie par sa manière d’étouffer son personnage et d’en faire expurger toute la lâcheté, la vanité, en même temps que la volonté tenace d’un homme de pouvoir.
UN FILM INTELLIGENT, IMPLACABLE ET D’UNE INCROYABLE NOIRCEUR
C’est par un rêve que commence l’odyssée politique de Pierre Schoeller. Des ombres, ou peut-être des faucheuses, disposent stylo, bloc-note et autres accessoires d’un cabinet ministériel. Une femme entièrement nue se pavane dans la pièce, s’offre à l’écran comme L’origine du monde de Courbet, puis s’engouffre dans la gueule d’un crocodile. Le songe de Bertrand Saint-Jean, ministre des transports, est des plus étranges. Mais au fil de l’histoire, Pierre Shoeller nous donnera quelques indices pour percer l’énigme, ou peut-être pour la complexifier encore. Entre un accident d’autocar et des manifestations CGT, Bertrand (Olivier Gourmet) est de ces hommes de pouvoir toujours speed qui font de leur tempo un argument politique. Mais une réforme dont il ne veut pas parasite son action : soit il s’obstine à refuser la privatisation des gares, pour rester fidèle à ses convictions, soit il retourne sa veste pour ne pas être éjecté du gouvernement. Pas un jour sans que la situation ne change, le faisant passer tantôt pour un électron libre, tantôt pour une marionnette à la solde du système. On ne sait pas vraiment si le pouvoir est de droite ou de gauche et à l’image de cette imprécision, Pierre Schoeller crée des circonstances contraires, déstabilisant ainsi continuellement son personnage. Une sensation d’étouffement poursuit Bertrand durant tout le film. Homme flou, tel que le considère sa dir-com (Zabou Breitman), ce ministre des transports est une énigme pour lui-même car il ne sait jamais où il va. Comme dans son rêve lynchéen, Bertrand l’opportuniste se jette dans la gueule du loup, qu’il refuse ou qu’il obéisse. Face à lui, deux personnages importants : Gilles (Michel Blanc), son ami et proche conseiller, et Kuypers (Sylvain Deblé), un chômeur de longue durée, embauché comme chauffeur stagiaire. L’un, élégant et raffiné, a presque trop de principes pour faire de la politique. L’autre, trapu et taciturne, regarde de ses yeux glacés le cirque de ces hommes ivres de pouvoir. Perpétuellement à la recherche d’une identité publique, Bertrand se situe, peut-être entre ces deux hommes-là : une sorte d’inadapté qui joue à être un autre. Inévitablement, devant tout cette mascarade, quelqu’un deviendra la victime collatérale d’une course sans issue… Et nous, spectateurs en quête d’une vérité toujours plus cynique, sortons de la salle définitivement désabusés.
L’exercice de l’État / Pays : France / Durée : 1h52 / Distribué par Diaphana distribution /Sortie le 26 Octobre 2011
Pour ma part, le personnage du chauffeur (effectivement taciturne) a bien moins retenu mon attention que les rouages eux-mêmes du fonctionnement d’un cabinet ministériel (dont une bonne partie
semble consacrée au « faire-savoir » davantage qu’au « faire »), dans l’urgence permanente. Un bon décryptage… d’une certaine manière de faire de la politique.
(s) Ta d loi du cine, « squatter » chez Dasola
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