TAKE SHELTER de Jeff Nichols (2012)
Curtis LaForche est un ouvrier de chantier installé dans l’Ohio avec sa femme et sa petite fille sourde. Depuis quelques temps, Curtis fait des cauchemars. Il se voit menacé par une terrible tornade et une pluie de déjections chimiques. Alors que ses angoisses deviennent de plus en plus réalistes, l’homme décide de construire un abri souterrain pour protéger sa famille.
Pour son deuxième film après Shotgun stories, Jeff Nichols signe un oeuvre particulièrement habile dans sa manière de capter les incertitudes et les tourments du monde. Son personnage, interprété brillamment par Michael Shannon (qu’on a pu voir notamment en homme déséquilibré dans Les noces rebelles ou en flic obsessionnel dans la série Boardwalk Empire), nous plonge dans un univers qu’il sait rendre, peu à peu, inquiétant et oppressant. Du quotidien modeste à la dépression, des cauchemars à la paranoïa, le film glisse subtilement vers l’irrationnel alors même qu’il porte un regard très lucide sur le réel. Par sa psychose, Curtis véhicule les peurs sociales, financières et écologiques de son temps. Face à ces dangers permanents, le personnage prend une voie radicale. Son bunker souterrain, véritable symbole du repli sur soi, représente ainsi un ultime refuge. On peut remarquer que Jeff Nichols joue d’un parallèle entre la surdité de la petite fille et la claustration grandissante du père. Ainsi, le dialogue silencieux entre les deux personnages apparaît comme une réponse à la violence extérieure. Le film illustre également, à travers un système médical défaillant, l’incapacité de la société à traiter les maux d’une population effrayée par l’avenir. Le film se fait définitivement fataliste lorsque Curtis prend conscience du mal qui le ronge sans pour autant avoir la volonté de le stopper. Qu’il s’agisse des ruptures de rythme maîtrisées ou des superbes plans de ciel ombragé, tout concourt à troubler nos repères et à créer une atmosphère anxiogène. Take shelter vaut pour sa réalisation soignée et le jeu ambigu et grave de Michael Shannon. On peut noter aussi la belle prestation de Jessica Chastain (The Tree of life, L’affaire Rachel Singer, Killing Fields) dans le rôle d’une épouse bien trop pragmatique pour son angoissant mari. Mais surtout, le film de Jeff Nichols brille par sa faculté à mettre en scène les peurs irrationnelles. Et c’est sans doute pour cela qu’après un premier succès à Sundance, en 2011, le film a été auréolé de quatre récompenses à Cannes, dont le Grand Prix de la Semaine de la Critique.
Titre VO : Take Shelter / Pays : USA/ Durée : 1h56 / Distribué par Ad Vitam / Sortie le 7 décembre 2011
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