LES ENFANTS DE BELLE VILLE d’Asghar Farhadi (2004)

© Memento Films

En quelques films, Asghar Farhadi a imposé une mécanique scénaristique infaillible : deux castes sociales distinctes, une intrigue qui s’installe au compte-goutte, puis un tourbillon d’émotions délaissant une situation bloquée. C’était déjà le cocktail de La Fête du feu (2007), drame qui opposait le bonheur d’un jeune couple désargenté à l’implosion d’une famille aisée. Farhadi terminait son film sur la candeur des tourtereaux tandis qu’il abandonnait les riches à leurs choix cornéliens. Dans A propos d’Elly (2009), un groupe d’amis en villégiature faisait face à la disparition d’une invité indésirable. Là encore, les confrontations sociales et sentimentales se concluaient par un suspense insoutenable. Puis vint Une Séparation (2011), autre drame social sur fond de divorce bourgeois. Son final a tenu le monde entier en haleine et a valu au réalisateur une pluie de récompenses (meilleur film étranger aux Golden Globes, Oscars, Bafta, ou encore 3 prix à la Berlinale). Il faut dire qu’avec des thèmes universels, le cinéma d’Asghar Farhadi donne une image de l’Iran à la fois plaisante et singulière. En filmant une classe moyenne tourmentée, il raconte l’ambiguïté d’un peuple tiraillé entre traditions et modernité. Mais on le sait, le pays a un autre visage, plus sombre. Les cinéastes Jafar PanahiMojtaba Mirtahmasb, Mohammad Rasoulof, Rafi Pitts, ou encore Saman Salour ont largement dénoncé l’autoritarisme du président Mahmoud Ahmadinejad. Certains sont assignés à résidence, d’autres se sont exilés, la plupart d’entre eux tourne dans la clandestinité. Au regard de cette réalité, on peut s’étonner de la distance politique prise par Farhadi. Et pourtant, le réalisateur iranien n’est pas que le portraitiste de la société bourgeoise iranienne. Tourné en 2004, Les enfants de Belle Ville se fait l’écho de la dérive totalitaire du pouvoir. Le film commence dans un centre pour délinquants mineurs. Tout juste âgé de 18 ans, un jeune meurtrier se voit transféré dans une prison pour adultes en vue de sa prochaine exécution. Son meilleur ami décide alors de rencontrer le père de la victime pour le persuader d’abandonner les poursuites. Mais l’homme reste intraitable.

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Le drame est posé et une course contre la montre s’engage. Cependant Asghar Farhadi préfère jouer de patience et construire des liens affectifs autour de la tragédie. Voilà donc que se noue une tendre amitié entre le bon samaritain et la sœur du condamné. De même, les tentatives pour amadouer un patriarche en colère se parent d’une tonalité ludique. On se surprend à sourire alors même qu’on nous parle de suicide, de peine de mort ou de handicap. Pourtant, le cinéaste ne masque jamais ce qui ronge la société iranienne : l’intolérance, une justice islamique corrompue et la violence envers les femmes. Dans une conversation ubuesque, on apprend que le père de la victime doit payer le « prix du sang » pour faire condamner le meurtrier de sa fille. Et la somme est conséquente puisqu’un homme a financièrement plus de valeur qu’une femme… Farhadi saupoudre son histoire de légèreté comme pour tromper la fatalité qui s’abat sur ses deux personnages. Mais l’amour peut-il vraiment tout balayer ? Le réalisateur est sournois et a plus d’un tour dans son scénario. Alors que l’affaire semblait entendue, tout est soudain remis en cause. Ce second long-métrage dans la filmographie d’Asghar Farhadi est à découvrir pour mieux apprécier ce qu’est réellement son cinéma. Son œuvre, même si elle n’est pas aussi pamphlétaire que celle de ses compagnons d’armes, se nourrit d’une réflexion profonde sur le rôle que doit jouer la jeunesse dans l’avenir de son pays. Cet optimisme qui explose à chaque image et cette liberté après laquelle courent les personnages laissent entrevoir un espoir de changement pour l’Iran.

Titre :  Shahr – Eziba/ Pays : Iran/ Durée : 1h41/ Distribué par Memento Films/ Sortie le 11 Juillet 2012