HUSBANDS de John Cassavetes (1970)
John Cassavetes, Peter Falk, Ben Gazzara. Le premier est parti il y a bien longtemps (le 3 février 1989), le second s’en est allé l’an passé (le 23 juin 2011) et le troisième a tiré sa révérence en février dernier, refermant avec lui un passionnant chapitre de l’histoire du cinéma indépendant américain. En découvrant Husbands, sorti il y a quelques mois dans une très belle édition, on peut retrouver l’énergie incroyable qu’insufflaient les films de Cassavetes. Lui, le réalisateur indompté, incapable de se fondre dans le moule hollywoodien, confirmait ici l’avènement d’un cinéma libre de toute contrainte formelle. Avec Shadows son premier long-métrage, Cassavetes s’est engoufré dans la brèche d’une nouvelle vague new-yorkaise initiée quelques années plus tôt par Morris Engel et Ruth Orkin (Le petit fugitif en 1953, Lovers and Lollipops en 1956). Tournés en extérieur, au plus près de la réalité, leurs films ont poussé à une réflexion autour de la mise en scène et influencé toute une génération de cinéastes tels que Martin Scorsese ou Arthur Penn.
Venu du théâtre, Cassavetes apporte à ce nouveau courant une grande part d’improvisation, offrant ainsi à ses acteurs un immense terrain de jeu. Et c’est Husbands qui illustre le mieux cette liberté. Pour le cinéaste, qui sort de deux expériences hollywoodiennes éprouvantes (Le ballade des sans espoirs, Un enfant attend), le retour à l’indépendance est une nécessité. Désormais, parallèlement à sa carrière d’acteur (Les douze salopards, Rosemary’s baby) qui l’aidera à financer ses films, il mènera ses projets personnels comme il l’entend. Ainsi, avec Faces, film brut à la construction imprévisible, John Cassavetes réaffirme son identité de réalisateur hors cadre. Mais c’est Husbands qui marque définitivement un tournant dans sa filmographie : premier film en couleurs de Cassavetes, première fois qu’il se met lui-même en scène et surtout, début d’une longue amitié avec Peter Falk et Ben Gazzara, futurs acteurs incontournables de son cinéma. Troublante est la résonance qu’a le film aujourd’hui alors que le trio nous a quittés. Car c’est une disparition qui brise le bonheur des trois maris du film. Celle d’un copain, Stuart, brutalement emporté par la fatalité. Le générique avait laissé entrevoir les photos d’un bonheur familial, l’enterrement interrompt l’euphorie. Voilà Gus (John Cassavetes), Harry (Ben Gazzara) et Archie (Peter Falk) renvoyés à leur propre mort et obligés de questionner leur existence. Le film sera le reflet de leurs tourments : mise en scène qui s’emballe, rupture de rythme, longues scènes d’improvisation laissant échapper souvenirs, frustrations et peurs. Incapables de rentrer chez eux, les trois amis prennent la fuite vers des terres londoniennes. Au programme, casino, beuveries et dragues désespérées. Le choix des dames de compagnie (hystériques, lascives ou timorées) en dit long sur les rapports qu’ils entretiennent avec leurs épouses. C’est dans une triste chambre d’hôtel que les trois maris règlent leurs comptes avec des femmes qui ne sont pas les leurs. Le malaise s’installe. Il est temps pour eux de rentrer. Avec ce film désenchanté, John Cassavetes livre un portrait particulièrement sensible de trois quadragénaires en crise. Spontané, vif, inattendu, Husbands annonce déjà ce que sera le cinéma de cet auteur résolument libre : un cinéma de l’intime explorant avec passion les drames intérieurs.
Husbands, coffret collector 3 DVD, chez Wild Side