DJANGO UNCHAINED, le film jouissif d’un réalisateur pénible

Django unchained

 

Non, je n’ai pas été atteinte par le syndrome Spike Lee qui a condamné le film sans même l’avoir vu. En effet, si vous l’avez raté, le réalisateur de Malcolm X s’est fendu, il y a quelques temps, de plusieurs déclarations assassines, estimant qu’un western spaghetti sur l’esclavage était irrespectueux pour ses ancêtres. Loin de cette polémique absurde, on peut aisément apprécier Django Unchained tout en y pointant une certaine facilité agaçante. Pourtant, c’est indéniable, quand il reprend les codes de la série B, Quentin Tarantino excelle. Preuve en est son hommage à la blaxploitation dans Jackie Brown, au film de sabre dans Kill Bill ou encore au grindhouse dans Boulevard de la mort. Depuis peu, le cinéaste s’amuse avec l’Histoire, associant son culte de la violence à l’instinct vengeur du spectateur, moyen pour celui-ci de prendre une part active au spectacle sanguinolent qu’il voit à l’écran. Ainsi, Inglourious Basterds était l’occasion unique de se venger du joug nazi en participant avec Brad Pitt à des séances de scalp bien inspirées. De la même manière, Django Unchained, qui s’éloigne d’emblée du Django de Sergio Corbucci, est un magnifique défouloir anti-esclavage, une réponse sanglante à l’exploitation négrière et au cinéma qui en a quelques fois véhiculé la nostalgie.

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Clin d’oeil au Django de Sergio Corbucci : la présence de Franco Nero aux côtés de Jamie Foxx

Peu de temps avant la guerre de Sécession, Dr Schultz, un dentiste allemand chasseur de primes, délivre un esclave de ses chaînes afin qu’il l’aide à retrouver ses anciens maîtres recherchés pour meurtre. Django saisit cette opportunité pour assouvir sa vengeance et tenter de retrouver sa femme Broomhilda qui a été vendue à un riche propriétaire de plantations. Dès les premières minutes, Tarantino nous donne ce que l’on attend de lui : la possibilité de botter le cul des salauds qui ont peuplé notre mémoire collective. Le ton est donné, Django va butter de l’esclavagiste à tout va. Les scènes s’enchaînent plus sanglantes les unes que les autres tandis que les dialogues, souvent hilarants, dédramatisent la cruauté des images. Mais le propos est plus sournois qu’il n’y paraît. En effet, par ses talents d’orateur, Dr Schultz (Christoph Waltz) incarne le visage respectable d’une justice violente. Ainsi, chaque fois qu’il exécute un homme de sang froid, le chasseur de primes n’en oublie pas de brandir la justification légale qui va avec. De fait, son personnage permet de pointer subtilement une arme plus violente que tous les colts du film : la loi. C’est le permis de tuer qui est le moteur de l’aventure, révélant l’héritage terrible du système américain actuel. Quant à Django (Jamie Foxx), il est une figure décomplexée de la vengeance. L’arme, prolongement naturel de sa musculature marquée au fouet, est, ici, une réponse orgueilleuse à des siècles d’humiliations. En ce sens, Django Unchained est un plaisir coupable qui contente à la fois le public noir conforté dans son rôle éternel de descendant d’esclaves et le public blanc dédouané de toute culpabilité grâce à Schultz, l’ami caucasien bras armé de la justice.

Dans cette visée purement démagogique, le rôle de Samuel L. Jackson est primordial. Son personnage de majordome au service du cruel Calvin Candie (Leonardo DiCaprio) illustre une imagerie détestable qui fut autrefois employée dans le cinéma américain : le stéréotype du noir qui, même libre, a choisi d’être soumis à son maître, se faisant le garant de l’inégalité des races. Souvenez-vous de ces seconds rôles noirs qui jouaient les serviteurs hébétés et lèche-bottes dans de grandes productions hollywoodiennes (par exemple, la gouvernante dans Autant en emporte le vent (1939), rôle qui valut à Hattie McDaniel l’Oscar du meilleur second rôle). Le cliché sera dénoncé plus tard dans Devine qui vient dîner ? (1967) avec le personnage d’une domestique noire plus intolérante que ses employeurs blancs. Le majordome campé par Samuel L. Jackson cristallise toute la complexité des rapports entre Hollywood et son public noir. Et Tarantino s’en sert parfaitement bien pour titiller la corde sadique du spectateur. C’est le personnage que l’on aime haïr, une victime qui consent à se vendre pour des privilèges que n’auront pas les autres esclaves.

Django Unchained sait faire jouir son public ? Très bien. Quel est le problème alors ? Rien si ce n’est que le procédé est facile quand il n’est pas carrément énervant. Car le western gangsta a ses limites. Si les fusillades sauce James Brown sont plutôt bien senties, difficile d’en dire autant des ralentis façon clip de rap (2PAC la référence ultime pour plaire) sur des corps déchiquetés. Il est comme ça Tarantino, jamais à cours de mauvais goût pour satisfaire sa masturbation visuelle. Deux heures de rigolade plus tard, le cinéaste finit par s’empêtrer dans son scénario. Une scène de dîner qui traîne en longueur, une intrigue résolue à la va-vite, un caméo visiblement improvisé… Tarantino ne sait pas conclure alors il dégaine la bonne vieille recette au ketchup qui a fait son beurre. Peut-être aurait-il fallu voir moins long que 2h44, durée fort prétentieuse pour ce qui n’est qu’une petite récréation sanglante. 

Titre : Django Unchained/ Réalisateur : Quentin Tarantino/ Pays : USA/ Durée : 2h44/ Interdit aux moins de 12 ans/ Distribué par Sony Pictures Releasing/ Sortie le 16 Janvier 2013