MEURTRE À BORD de Joseph M. Newman (1953)

Dangerous crossing carton

Meurtre à bord… Quel titre stupide pour un film hautement plus complexe que le polar de seconde zone suggéré par cette traduction insipide ! Dangerous crossing (littéralement « traversée dangereuse ») est pourtant une belle perle du film noir qui mériterait qu’on s’intéresse de plus près à son réalisateur. Né dans l’Utah en 1909, Joseph M. Newman a fait ses débuts comme assistant-réalisateur auprès de Ernst Lubitsch (La veuve joyeuse, 1934), George Cukor (David Copperfield, 1935), W. S. Van Dyke (San Francisco, 1936) ou encore Richard Thorpe (Le trésor de Tarzan, 1941). Après une série de courts-métrages pour la MGM (Crime does not pay), il réalise son premier western en 1942, remake d’un polar de Van Dyke, L’Ennemi public n°1 (1934). Joseph M. Newman s’est essayé à tous les genres : suspense, drame, western, science-fiction… Il a notamment signé Nid d’amour (1951) une comédie légère avec Marilyn Monroe, Le cirque fantastique (1959) film à grand spectacle avec Vincent Price et surtout Les survivants de l’infini (1955) un classique de la science-fiction dont Jack Arnold a tourné plusieurs scènes. Outre le cinéma, on le retrouve à la télévision aux commandes de quelques épisodes de La quatrième dimension (les épisodes 1, 8, 18 et 36 de la saison 5), ainsi que 10 épisodes de la série Alfred Hitchcock présente. Newman quitte la scène après Dompteur de femmes (1961), un biopic romancé sur l’acteur George Raft. Il s’éteint en 2006, en Californie, à l’âge de 96 ans.

Dangerous crossing illustre à merveille l’éclectisme et la vivacité de Joseph M. Newman. Adapté de Cabin B-13, une série radiophonique écrite par John Dickson Carr en 1943, ce thriller paranoïaque impressionne par son style percutant et sa réalisation efficace. Son intrigue, qui n’est pas sans rappeler The lady vanishes d’Hitchcock, plonge une femme au cœur d’une machination des plus diaboliques : Ruth Bowman, une fraîche et pimpante jeune mariée, embarque sur un paquebot avec son mari John  pour leur voyage de noces. Mais à peine le bateau a t-il quitté le port que John disparaît. Ruth a beau avertir l’équipage et questionner les passagers, son mari reste désespérément introuvable. Le plus étrange est que personne ne semble se souvenir de sa présence à bord. Bientôt, on s’interroge sur l’existence même de ce prétendu mari…

Dangerous crossing 3

Il ne faudra pas plus de quinze minutes au cinéaste pour créer une atmosphère cauchemardesque et étouffante. L’histoire est sans temps mort, portée par une vérité qui se contredit à chaque plan. Joseph M. Newman joue avec notre mémoire en questionnant perpétuellement les images que nous venons de voir. Le réalisateur a une manière très géométrique d’utiliser l’espace : il fait circuler son héroïne d’une pièce à l’autre, donnant au paquebot des allures de labyrinthe. Ruth entre dans une pièce, en ressort aussitôt, franchit une multitude de portes comme autant d’entrées dans son subconscient. Sa voix off, suggérant quelques secrets bien gardés, accentue son ambiguïté. Ne serait-elle pas l’instigatrice de toute cette affaire ? Après tout, personne n’a vu ce John Bowman hormis le spectateur. Aurions-nous été dupés par l’imaginaire de Ruth ? En cultivant la paranoïa de son personnage, Joseph M. Newman nourrit aussi la nôtre. Il filme la connivence dans le regard des autres, créé des situations de complots et brouille le discours de son héroïne. Souvent, il use des codes de l’horreur et donne un accent gothique à son film : lieu obscur, brouillard tenace, silhouettes menaçantes et sons de corne de brume rappellent à loisir l’ambiance lugubre des films produits par Val Lewton. Mais il s’agit bel et bien d’un film noir avec son lot de personnages louches, de bons samaritains et de tentations criminelles. Jeanne Crain, qu’on a pu voir entre autres dans Chaînes conjugales (1949) et On murmure dans la ville (1951) de Joseph L. Mankiewicz, est la proie parfaite de cette manipulation cinématographique. On en redemande encore, s’étonnant que Joseph M. Newman n’ait pas plus imprimé sa marque dans l’univers du suspense hollywoodien. 

Titre VO : Dangerous crossing/ Réalisateur : Joseph M. Newman/ Pays : USA/ Durée : 1h15/ Produit et distribué par Twentieth Century Fox