LE CONGRÈS d’Ari Folman : du renouveau dans le cinéma d’anticipation ?
Depuis quelques années, le cinéma d’anticipation semble avoir du mal à se construire un avenir. Après des décennies passées à égrainer les belles pépites (Metropolis, 2001, l’odyssée de l’espace, Soleil vert, THX 1138, New York 1997, Blade Runner et tant d’autres) et à nourrir notre imaginaire, le genre s’est quelque peu étiolé à l’aube des années 2000, mal inspiré par un siècle déceptif au regard des ambitions technologiques que lui a conféré le cinéma. Entre les réalisateurs qui ont abandonné la SF pour d’autres cieux cinématographiques et ceux qui se contentent de remaker passivement les succès d’autrefois (la récente version insipide de The thing ou le doublon méprisable de Total Recall) difficile de se laisser porter par des visions futuristes molles et dénuées de toute mise en perspective sociale. Même ceux en qui nous fondions nos espoirs (Andrew Niccol avec Bienvenue à Gattaca (1998), Duncan Jones avec Moon (2009)) ont fini par nous décevoir : le premier s’est reconverti dans de la science-fiction commerciale pour ados (Time out, Les âmes vagabondes) et le second a fini par se conformer au cahier des charges hollywoodien pour être sûr de se voir distribué correctement (Source Code). Et puis voilà qu’un jour, un réalisateur qu’on n’attendait pas sur le terrain de l’anticipation réussit à raviver la flamme. Jusqu’à présent, on connaissait Ari Folman pour La valse avec Bachir (2009), un film d’animation en partie autobiographique qui revenait sur le massacre de Sabra et Chatila. L’œuvre, singulière par sa forme, questionnait aussi bien la mémoire collective que la mémoire individuelle et sélective du cinéaste. Avec Le Congrès, son cinquième long métrage, Ari folman aborde notre rapport au temps et à la pérennité des images. Adapté du roman éponyme de l’écrivain polonais Stanislas Lem (l’auteur de Solaris), le Congrès se construit autour de l’actrice Robin Wright qui, à défaut de jouer son propre rôle, interprète un personnage auquel elle prête son nom et une partie de sa carrière. Pour l’héroïne du film le temps du succès est révolu. Princesse Bride vit aux abords d’un aéroport avec sa fille et son fils atteint du syndrome d’Usher. Malgré sa quarantaine éclatante, les producteurs ne plus en elle qu’une star déchue. C’est alors que Al (Harvey Keitel), son manager, lui suggère d’accepter la proposition des studios « Miramount » : être scannée numériquement afin d’être éternellement exploitable au cinéma. Robin hésite : doit-elle accepter de se laisser déposséder de son image pour continuer sa carrière ?
Structuré en deux parties (une partie live et une partie animée), le film est un superbe jeu de miroirs où se confrontent le présent et l’avenir du cinéma. A travers cet exercice original, Ari Folman questionne le travail de l’acteur et le sens même du septième art, en décortiquant la mécanique des images. A partir de la vraie Robin Wright, il construit un personnage de fiction qu’il duplique encore et encore jusqu’à une déshumanisation totale. Ainsi, la partie live du film peut se voir comme l’antichambre d’un futur artistique rongé par sa technologie. Dans ce premier chapitre, le cinéaste met en scène les émotions et la nostalgie de son personnage. Robin Wright porte pour la dernière fois un regard tendre sur ses succès passés tout en émettant quelques regrets. Les images qui l’entourent annoncent une fin : le hangar où elle s’est réfugiée avec ses enfants, la rencontre avec un chef opérateur reconverti en simple technicien, les couloirs de la Miramount désespérément vide… Le cinéma semble mourir sous nos yeux, bradé au plus offrant, voué à n’être qu’une succession d’images mécaniques. Dans cette partie du film particulièrement lumineuse et intense, Ari Folman saisit la joie, le doute et la mélancolie dans le regard azur de Robin Wright, comme si c’était l’ultime occasion de capter des émotions humaines. Nous retrouvons l’actrice vingt ans plus tard lors d’un congrès organisé en son honneur. C’est là qu’Ari Folman transforme son film en un dessin animé hallucinant. On y voit des fans de Robin Wright s’enivrer d’une drogue qui les transforme en leur idole et des personnages difformes se nourrir de son image. L’ancienne star est devenue un produit de consommation comme les autres, une image numérique existant indépendamment de son modèle. Étourdissant par son abondance de couleurs et ses distorsions visuelles, ce monde enchanteur est une expérience sensorielle où se mêlent inquiétude et fascination. Dans cette partie, paradoxalement plus sombre, Robin Wright devra se perdre pour enfin se détacher de la dictature de l’image et se recentrer sur son rôle de mère. Ari Folman signe un très beau film de science-fiction, une tragédie grandiose qui trouve sa puissance dans la magnifique interprétation de Robin Wright. Par son analyse subtile de la société de l’image et son caractère visionnaire, Le Congrès préfigure d’un renouveau possible du cinéma d’anticipation. Et c’est évidemment un film à ne pas manquer.
Titre : The Congress/ Réalisateur : Ari Folman/ Pays : USA/ Durée : 2h00/Distribué par ARP Sélection/ Sortie le 3 Juillet 2013
Le concept me rappelle quelque part Simone avec Al Pacino, sorti au début des années 2000 de mémoire.
Mmmm… C’est beaucoup plus complexe : il y a à la fois un regard très pessimiste sur le monde et une inquiétude quant à l’avenir du cinéma. Et puis la mécanique du film est très originale.
Jolie commentaire ^^
Pour ma part, le film le plus visionnaire auquel mon regard n’ai assisté depuis 2001. Ce qui est très fort, c’est que Forman se jette corps et âme dans une confusion morale volontaire, ne jugeant jamais avec ce registre si habituellement technophobe, sa vision futuriste et sombre de l’humanité, allant jusqu’à illuminer un dépassement de la technique elle-même. La technique est ici dépassée par la chimie, comme si cette dernière devenait un véritable séisme de valeurs, où “tout est une question de sentiments”. Qu’est-il préférable d’espérer: un monde mutant en illusion accordée à ses désirs, où se battre pour la phrase d’Hemingway “le monde est un bel endroit qui mérite que l’on se batte pour lui”. Là dessus Forman reste flou, voir, assez respectueux et poète avec la première idée.
Un chef d’oeuvre, classique incontournable !! ^^
Merci ! C’est un superbe film. J’en ai un très beau souvenir même si je ne l’ai pas revu depuis. Pour moi, c’est un film très marquant dans cette décennie cinématographique.