LES MISTONS de François Truffaut (1957)

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Bernadette Lafont s’en est allée le 25 juillet 2013 à l’âge de 74 ans. Elle laisse des souvenirs de cinéma immenses et des rôles qui ont enflammé la pellicule des plus grands cinéastes. François Truffaut lui avait offert son premier rôle dans Les Mistons (1957), aux côtés de Gérard Blain qu’elle venait d’épouser à tout juste 18 ans. L’acteur, découvert dans Voici le temps des assassins (1956) de Julien Duvivier, ne voulait pas d’une femme actrice… Qu’importe, le cinéma tend les bras à la jolie nîmoise et ne la lâchera plus. Chez Claude Chabrol, elle est la maîtresse passionnée du Beau Serge (1958) et le cœur volage des Bonnes femmes (1960) et des Godelureaux (1961). Plus tard, elle tourne pour Edouard Molinaro (La Chasse à l’homme, 1964), Costa-Gavras (Compartiment tueurs, 1965), George Lautner (Les Bons vivants, 1965) ou encore Louis Malle (Le Voleur, 1967). En 1959, elle épouse en secondes noces le sculpteur hongrois Diourka Medveczky qui lui donnera trois enfants. Dix ans plus tard, elle tourne avec lui Paul, un film énigmatique resté inédit en salles malgré un bel accueil critique. La même année, on la découvre en femme vengeresse dans La Fiancée du pirate de Nelly Kaplan, un rôle dont la puissance assoit définitivement sa carrière. En 1972, elle joue une pimpante détenue dans Une belle fille comme moi de Truffaut. Un an plus tard, Jean Eustache lui donne un rôle qui restera dans les mémoires : elle forme avec Françoise Lebrun et Jean-Pierre Léaud, le triangle amoureux et malsain de La Maman et la putain. Mais Bernadette Lafont n’a pas été que la fille au tempérament de feu et aux courbes incendiaires de la Nouvelle Vague. Ces dernières décennies l’ont vue aborder un registre plus populaire : la nounou gouailleuse de Charlotte Gainsbourg dans L’effrontée de Claude Miller (qui lui vaudra le César du meilleur second rôle en 1986), la mère envahissante d’Alain Chabat dans Prête-moi ta main d’Eric Lartigau (2006) et plus récemment la mamie dealeuse de cannabis dans Paulette de Jérôme Enrico (2012). Pétulante, généreuse, émouvante, charmeuse, elle restera à jamais la fiancée du cinéma et celle dont le regard de braise se plaisait à défier la caméra.  

LES MISTONS équipe

Rendons-lui un modeste hommage en revenant sur ses débuts. Eté 57, François Truffaut se lance dans sa seconde réalisation après un premier essai improvisé (Un visite (1954), et la création de sa société de production Les Films du Carrosse. Pour ce nouveau court-métrage, adapté d’une nouvelle de Maurice Pons, il fait appel à un jeune premier à la carrière prometteuse, Gérard Blain, et à sa jeune épouse dont il ne cesse de faire l’éloge : Bernadette Lafont. A l’écran, ils formeront un couple d’amants pris pour cible par une bande de gamins qui s’ennuient. La première apparition de Bernadette laisse rêveur : pieds nus sur son vélo, elle sillonne les rues de Nîmes en laissant voler sa jupe sous les yeux ébahis des mistons. En voix off, l’un des enfants, devenu adulte, raconte avec nostalgie l’éveil des sens qu’a procuré cette charmante apparition. Truffaut aussi est séduit : sa caméra reste pendue aux jupes de la jolie demoiselle et le rythme du film suit le cœur virevoltant des deux tourtereaux. Mais très vite, le cinéaste s’éloigne de ses doux amants pour accompagner ceux qui, à défaut de pouvoir aimer Bernadette, ont décidé de tourmenter ses amours. Visiblement fasciné par ces petites têtes blondes, François Truffaut immortalise par l’image chacun de leurs assauts guerriers comme pour sacraliser cette liberté que s’octroie naturellement l’enfance. Dans une scène de vélo où les garçons tournoient comme des mouches autour d’un pot de miel, le cinéaste saisit un cliché aux accents surréalistes : on y voit l’un des gamins poser son nez et ses lèvres sur la selle de la précieuse bicyclette à la manière d’un prince baisant la main d’une reine. Il y a dans ce moment, que Truffaut filme au ralenti, quelque chose de quasi religieux, une sorte d’hommage sacré rendue à une madone. Plus tard, alors que les amoureux transis papillonnent dans les arènes de Nîmes, le cinéaste perturbe la fluidité de la séquence en insérant le plan furtif d’un garçon surgissant de l’ombre tel un diable. Après cela, le couple ne sera plus qu’un duo de silhouettes en arrière-plan, tandis que se déploie le jeu de guerre des gosses vengeurs. Sur le terrain où Bernadette et Gérard s’adonnent à une partie de tennis, les garçons sont au spectacle d’un amour qui leur semble à la fois attrayant et détestable. Gérard, le prof de gym, l’ennemi tout désigné, a de quoi agacer : il n’a aucun regard pour les opportuns et leurs inoffensives attaques. Leur unique duel sera scellé par l’invective « sales petits mistons », prononcée avec rage par leur rival avant de très vite les oublier. Bientôt, la fin de l’été sonne le glas de l’amour et de la divertissante bataille des petites canailles. Alors que la vie reprend ses droits avec son lot de bonheurs et de tragédies, les mistons continuent de défier le monde avec leur insouciance en bandoulière. Mais ils n’oublieront jamais celle qui fit, le temps d’un été, chavirer leur cœur. Dans cette fronde invisible menée par l’enfance, François Truffaut inscrit déjà le thème foisonnant des 400 coups, de L’enfant sauvage et de L’Argent de poche. Et surtout, il ouvre un champ de possibilités cinématographiques à la superbe Bernadette. 

Le court-métrage est disponible sur le DVD des 400 coups édité par les éditions MK2.

400 coups

Titre : Les Mistons/ Réalisateur : François Truffaut/ Pays : France/ Durée : 16 min/Distribué en vidéo par MK2/ 1957