CINÉMA DU RÉEL JOUR 1 : DES LARMES FÉROCES ET DES LUMIÈRES QUI CRÉPITENT
Jeudi 20 Mars démarre, sous un soleil radieux mais éphémère, la 36ème édition du Cinéma du réel. Comme toujours, et plus particulièrement cette saison, le Centre Pompidou accueille une très riche programmation mêlant habilement cinéma documentaire de patrimoine et essais contemporains français ou internationaux. Au vu des sujets abordés aussi bien par les films en compétition que par la sélection thématique, cette édition semble plus que jamais axée sur l’actualité entre questions identitaires liées à l’immigration, radiographie inquiétante du monde du travail, remise en cause de la spiritualité et désordres politiques. Parallèlement à la compétition, on découvrira notamment une programmation consacrée aux 40 ans de la Révolution portugaise (Portugal, 25 avril 1974), une réflexion sur la difficile production documentaire en Russie (Arrested Cinema), un hommage à Jean Rouch pour les dix ans de sa disparition (A travers… Jean Rouch) ou encore une rétrospective autour du travail ethnographique de Raymonde Carasco (Raymonde Carasco et Régis Hébraud : à l’œuvre). Outre le thème du multiculturalisme, qui semble le maître mot de cette édition, le festival propose un parcours passionnant autour de la représentation de la nuit au cinéma avec une série de films courts datant de 1900 à nos jours et questionnant autant la technique que la symbolique de l’image nocturne (La nuit a des yeux). Un joli programme offrant son lot de films inédits, de débats captivants et de déambulations parisiennes (grâce à ses projections au Nouveau Latina, au Forum des images et au Centre Wallonie Bruxelles).
La première sensation forte du festival est venue d’un documentaire présenté dans la catégorie des premiers films internationaux : Les Messagers d’Hélène Crouzillat et Laetitia Tura. Dans ce récit construit autour de migrants africains candidats à l’Europe, les deux réalisatrices recueillent la parole douloureuse de ceux dont les frontières tentent de nier l’existence. Ils sont pourtant des milliers, chaque année à essayer d’atteindre les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla. Ceux qui ont de la chance se retrouvent en centre d’accueil, les autres sont bloqués au Maroc indéfiniment ou tragiquement emportés par la mer. Mais que la Guardia Civil le veuille ou non, ils sont là : Nigériens, Camerounais, Guinéens, Maliens ou Sénégalais, affirmant leur identité et leurs espoirs. Dans un schéma mêlant prises de vue réelles et photographies, Les Messagers recrée de manière saisissante la situation aliénante que vivent ces damnés de l’Afrique. Y émerge un besoin vital de nommer les morts pour ne pas les oublier et ne surtout pas réduire ces hommes à des silhouettes anonymes et déshumanisées. Dans la même lignée que le récent Ceuta, douce prison, sorti en salles en début d’année, Les Messagers est une sorte de cri visuel à l’attention d’un Occident mué dans son indifférence et son impuissance volontaire.
Photo issue du film Les Messagers d’Hélène Crouzillat et Laetitia Tura
Pour s’aérer après toute cette charge émotionnelle suscitée par le film, il suffisait de se laisser porter par la programmation ludique de La nuit a des yeux. Dans cette première sélection de films réunis sous le titre Palais de l’électricité, on pouvait voir de superbes images naturalistes ou expérimentales, témoignant du début du cinéma documentaire et revenant sur la difficile maîtrise de la lumière. On pouvait voir notamment Thomas Edison saisir l’agitation nocturne des villes américaines (autour de 1900), Edwin Porter filmer avec malice Coney Island (1905) ou encore Boris Kaufman s’aventurer dans les Halles parisiennes (1927). Un voyage dans le temps rendu magnifique par la poésie des lumières crépitant dans la nuit.
Plus de détails sur la programmation du Cinéma du Réel (du 20 au 30 mars) : http://www.cinemadureel.org/fr
La nuit a des yeux aurait pu m’intéresser!
Oui c’était une très belle sélection. C’est une thématique intéressante à traiter.