CINÉMA DU RÉEL JOURS 4 & 5 : FARCE ÉLECTORALE ET LAUTRÉAMONT STYLE

 

CINEMA DU REEL 2014

Dimanche 23 Mars, en ce jour de vote, il était de bon ton d’aller voir Mare Magnum, le film d’Ester Sparatore et Letizia Gullo consacré aux dernières élections municipales qui a ont eu lieu sur l’île de Lampedusa. Alors que l’archipel italien a connu une vague d’immigration sans précédent au lendemain du Printemps arabe, les élections de mai 2012 ont été l’occasion ultime pour les résidents d’exprimer leur exaspération vis-à-vis d’une situation intenable. Pourtant, même s’ils se sentent abandonnés par le reste de l’Europe, les électeurs locaux expriment face caméra des préoccupations plus quotidiennes. Ce n’est pas tant l’arrivée permanente de naufragés africains qui perturbe la tranquillité de l’île que des années de politique locale désastreuse entre corruption, gaspillage et absence d’engagement culturel ou écologique. Pour mieux comprendre le cauchemar lampedusien, il suffit d’observer le manège du maire sortant classé à gauche, Dino De Rubeis, paradant dans les rues tel un mafieux, fier de son bilan calamiteux comme de sa dernière bagouse. Et que dire de Salvatore Martello, un admirateur de Berlusconi, dont le dilettantisme se traduit à l’écran par de longues scènes de vide. L’espoir survient du côté de Giusi Nicolini, candidate écologiste et seule femme à oser défier cette basse-cour de coqs ridicules. Elle est surtout la seule à offrir des perspectives et à inspirer le changement. C’est autour d’elle que se resserre le documentaire, elle qui écoute patiemment les électeurs réclamer un peu de considération et beaucoup de changements. Dans cette lutte d’images où les réalisatrices filment d’un côté une campagne moralement harassante et de l’autre un défilé d’énergumènes nous et pathétiques, l’issue des élections ne fait aucun doute. Mais même si Giusi Nicolini remporte la bataille des urnes et du film, le vrai combat reste à mener pour redonner un peu de dignité humaine à cette île devenue un tragique cimetière de migrants.

 MARE MAGNUM

Lundi 24 Mars, dans le Cinéma 1 du Centre Pompidou, le public est venu en masse découvrir le nouveau documentaire d’Olivier Dury et Marie-Violaine Brincard, Si j’existe, je ne suis pas un autre. Derrière cette citation du Comte de Lautréamont se cache sans doute l’une des meilleures surprises du festival (avec Les Messagers). Le film suit une classe de jeunes au parcours scolaire difficile mais que le système tente de réintégrer à travers des activités comme le théâtre, la musculation ou la peinture. Nous immergeant dans le petit monde drôle mais souvent incompréhensible de ces adolescents, les deux réalisateurs révèlent assez vite les contradictions de ces jeunes qui rejettent perpétuellement l’autorité tout en exprimant leur besoin d’être encadrés. Si le point de départ rappelle beaucoup d’autres essais documentaires ou fictionnels (le film Entre les murs de Laurent Cantet ou plus récemment La cour de Babel de Julie Bertuccelli), ce film de classe se distingue par l’étrange rapport qu’ont les adolescents à la caméra. D’abord amorphes et murés dans une seule et même complainte (ils passent leur temps à dire qu’ils sont fatigués), Seta, Hocine, Sofiane et les autres vont très vite se révéler à l’écran, allant jusqu’à prendre possession du film. Entre l’une qui veut que toute l’attention soit portée sur elle, l’autre qui retourne assez finement au professeur ses questions personnelles et un autre élève qui offre au spectateur une séance de drague assez comique, le film dresse par sa construction empirique de savoureux portraits. Voilà pourquoi on ne cesse jamais de penser à ce titre (Si j’existe, je ne suis pas un autre) qui illustre à lui seul toute la complexité de ces personnages.

Prochaine projection de Si j’existe, je ne suis pas un autre : Samedi 29 mars 14h au Nouveau Latina avec l’équipe du film.

Si j'existe je ne suis pas un autre