3x3D : l’essai impossible ?
Quand en 2009 James Cameron présente Avatar et son nouveau dispositif de caméras 3D, nombreux sont ceux qui y voient un bouleversement cinématographique à l’échelle de la révolution numérique qui s’opérait dans les salles. Il est vrai qu’avec son réalisme saisissant, l’essai de Cameron (pourtant plus technologique qu’artistique) offrait de nouvelles perspectives à un cinéma en relief jusqu’alors moribond. Mais l’euphorie fut de courte durée : tous les films en 3D post-Avatar ne furent qu’une succession d’arnaques magnifiques entre nanars 2D gonflés en 3D (Le choc des titans, Piranha 3D, Green Lantern et autres Destination Finale) et 3D employée a minima et donc inutile (Hugo Cabret, Prometheus, Tron). Par ailleurs, l’inconfort des lunettes, la faible luminosité inhérente à l’image en relief et le prix prohibitif (jusqu’à 13€ par personne pour une place plein tarif) ont fini par lasser des spectateurs déjà bien échaudés par toutes ces productions opportunistes. Même les grands groupes audiovisuels qui s’étaient lancés dans des chaînes 3D se sont peu à peu désengagés face à des audiences quasi-nulles (Canal + vient d’annoncer l’arrêt de sa chaîne dédiée et Orange a décidé de stopper tout nouvel investissement dans des contenus en relief). Contre toute attente, c’est le genre documentaire qui a le mieux su tirer parti de cette technologie en proposant aux spectateurs des expériences inédites à l’exemple de La grotte des rêves perdus de Werner Herzog qui nous plongeait au cœur d’une expédition exceptionnelle ou encore Pina de Wim Wenders qui redonnait vie, au moyen de la 3D, à l’œuvre chorégraphique de Pina Bausch. Ainsi, le champ expérimental semble la seule voie envisageable pour attirer encore le public dans les salles. C’est ce que confirme le projet réunissant Peter Greenaway, Jean-Luc Godard et Edgar Pêra. Autour de Guimarães, l’une des plus importantes villes portugaises qui a fêté 2000 ans d’histoire, les trois cinéastes explorent, à travers trois courts-métrages, les différentes utilisations de la 3D et questionnent son rôle au cinéma. Si sur le papier l’exercice semble a priori théorique, il est l’occasion pour chacun d’entre eux de reprendre possession de l’image en relief et d’en faire un outil de métamorphose du récit. C’est Peter Greenaway qui ouvre la marche avec Just in time, un essai historique et ludique sur la ville portugaise millénaire. Non sans ironie, le réalisateur britannique passe en revue les grandes dates et les vraies fausses anecdotes qui ont nourri la légende de Guimarães. Dans cet exercice, la 3D se révèle comme un fabuleux outil narratif faisant entrer le spectateur dans l’image comme il le fait entrer dans l’Histoire. De cette jolie proposition artistique, on retiendra une scène superbe : une cathédrale au scintillement pointilliste offrant une traversée presque sensorielle des images. Mais déjà Just in time prend fin, laissant place aux théories mathématiques de Jean-Luc Godard. Dans Les 3 désastres, le cinéaste suisse s’amuse en fragmentant et en superposant le récit. Faisant appel à la mémoire du cinéma, il se réapproprie certaines images pour mieux les disloquer et construire un nouveau langage visuel. Fidèle à lui-même, Godard moque une société aveuglée par ses illusions et poursuit sa démarche de déstructuration de son œuvre. Les 3 désastres est un écho évident à son dernier film, Film Socialisme, et une passerelle vers son prochain, Adieu au langage, film en 3D qu’il présentera en compétition à Cannes et qui sortira le 25 Juin 2014 . Bien que trop courtes, les deux expériences menées par Greenaway et Godard avait de quoi laisser supposer une fin en apothéose. Mais Edgar Pêra vient malheureusement gâcher la fête. De la 3D, le réalisateur portugais fait une utilisation stupide, un mauvais sketch qui s’éternise portant préjudice aux propos des deux précédents courts-métrages. Le problème de Pêra est qu’il aborde le relief par des procédés faciles : il place des spectateurs dans une salle 3D où il passe en revue tous les genres cinématographiques. De temps en temps, un maître de cérémonie déguisé en tout et n’importe quoi vient réveiller un public réduit à l’état de consommateurs passifs d’images quand il n’est pas embarqué dans une révolte de pacotille. Les acteurs jouent faux, ça crie dans tous les sens et la scénographie est moche. Excessif, ridicule et vulgaire, Cinesapiens est une erreur monumentale tant il se borne à vouloir faire de la 3D un spectacle creux. Dommage que ce soit cette daube interminable qui conclut un projet pourtant bien commencé. Dommage aussi qu’il n’y ait aucune interaction entre les trois courts-métrages, chacun ayant visiblement travaillé dans son coin. Comme si la 3D semblait condamnée à une sorte d’incompréhension aussi bien de la part du public que du point de vue de certains cinéastes.
Titre : 3x3D/ Réalisateur : Peter Greenaway, Jean-Luc Godard, Edgar Pêra/ Pays : Portugal/ Durée : 1h10/Distribué par Urban Distribution/ Sortie le 30 avril 2014 Article écrit le 30 juin 2013
Certains vont même jusqu’à détruire leurs lunettes 3D en guise de protestation.
Merci pour ce beau panorama sur le sujet, qui permet d’apporter un peu de profondeur de champ à l’analyse.
Sabrina, plus forte que la 3D.
Je partage ton avis sur le côté opportuniste des productions post-Avatar. Il n’y a que Prometheus qui trouve grâce à mes yeux, puisque j’avais trouvé que la 3D apporte un petit plus, notamment lorsqu’on suit l’action sur les écrans d’Idris Elba.
En revanche, c’est effectivement désagréable de porter ces lunettes (et là je pense aux personnes qui en plus auraient des lunettes de vue) et l’image est tellement assombrie qu’on perd les éventuelles qualités en termes de photographie et de lumière.
Seuls les possesseurs de carte UGC/Gaumont ne perdent pas au change, puisqu’ils n’ont qu’à débourser 1 euro la première fois pour avoir les lunettes et qu’il n’y a pas de supplément pour eux.
Merci à toi. Pour ma part la 3D de Prometheus ne m’avait pas bluffée. J’ai vraiment du mal à y voir une plus-value hormis quand elle sert de manière ludique la narration du film ou dans certains documentaires pré-cités. Tu fais bien de rappeler l’avantage des cartes illimitées. Je pense d’ailleurs que sans ça les entrées 3D s’effondreraient totalement.
Aaaah la trouadé, le débat sans fin sur un un procédé mercantile qui conduit bien trop souvent à des produits affligeants… « J’en appelle au boycott !!! » (Artsonic) ^^
sinon, ce film à sketches dont tu parles ne me donne pas du tout envie. La faute à un JLG qui m’ennuie passablement dans ses délires auteurisants. Et je ne parle pas de son prochain bébé trouadé qui me semble bien parti pour être chroniqué dans nanarland.
mais bon, il dira que si son film est un ratage c’est à cause d’un « problème de type grec ».
JLG s’est un peu égaré ces dernières années mais il a le mérite de questionner le sens des images et de leur utilisation dans le temps. Quant à la 3D, je ne lui trouve vraiment plus aucun intérêt. J’ai l’impression qu’on en a fait le tour. Mais avec JLG, on peut peut-être avoir des surprises…