SOY NERO de Rafi Pitts (2016) : À LA LISIÈRE DE L’AUTRE

SOY NERO HD

C’est l’une de ces frontières qui accumulent les symboles : barrière de protection pour les uns, dernier rempart avant l’eldorado pour les autres, démonstration de force sécuritaire pour les pays prospères et virulent rejet pour ceux qui tentent de fuir leur pays en miettes. Cette muraille économique, sociale et politique, qui rend l’autre à la fois si loin et si proche, va être le fil conducteur de Soy Nero, éprouvante odyssée mexicano-américaine menée tambour battant par Rafi Pitts (réalisateur entre autres de The Hunter). Né en Iran et ayant vécu entre la France et l’Angleterre, le cinéaste, qui est aujourd’hui interdit de retour dans son pays, raconte à la fois l’exil et la violence des frontières. Inspiré par l’histoire d’un « Green Card soldier », nom donné aux immigrés qui s’engagent dans l’US Army pour obtenir la nationalité américaine, Soy Nero est l’expression douloureuse d’un déracinement qui prendra différentes formes durant le voyage de son héros. Nero Maldonado, jeune mexicain de 19 ans élevé à Los Angeles mais renvoyé au Mexique après la mort de son père, tente par tous les moyens de retrouver sa vie d’avant et une Amérique pleine d’espoir. Pour vivre son « american dream », le jeune homme (incarné avec sensibilité par Johnny Ortiz) est prêt à s’engager dans l’armée afin d’obtenir le fameux sésame. Rafi Pitts suit son parcours entre la traversée jusqu’aux Etats-Unis et un no man’s land du Moyen-Orient. Qu’il matérialise la frontière de manière réelle ou métaphorique, Soy Nero ne cessera jamais d’être le récit d’une fracture entre le personnage et le reste du monde, révélant ainsi toutes les aberrations de la société américaine. Entre de superbes plans contemplatifs où s’exprime le vide d’un monde sans issue et des scènes d’une rare fulgurance, comme le franchissement de la frontière américaine sous un feu d’artifice, ou cet étrange match de volley-ball entre migrants mexicains et gardes américains, de part et d’autre du mur, le voyage de Nero est parsemé de rencontres illusoires où chacun se pare d’un masque dissimulant mal l’horreur. Le no man’s land que le jeune homme atteint est l’aboutissement de cette route de l’absurde : là, sous un soleil de plomb, menacé par la mort de toute part, entouré de soldats tout aussi perdus que lui, Nero s’accroche jusqu’au bout à une hypothétique nationalité américaine. Mais les Etats-Unis n’ont plus rien à offrir hormis de fausses promesses. Combien ont attendu en vain leur Green Card pour finalement être expulsés après leurs missions ? Filmé dans un étourdissant plan de désert, l’arme à la main, au milieu de nulle part, Nero n’appartiendra jamais à aucun monde. Il sera éternellement cet étranger méprisé, humilié, réduit à la simple fonction de bouclier humain. Maudite frontière…  Ne reste alors que l’affirmation de soi : « Je suis Nero ».

 

Soy Nero/ Réalisateur : Rafi Pitts/ Pays : Allemagne, France, Mexique/ Durée : 1h57/Distributeur : Sophie Dulac Distribution/ Sortie : 21 septembre 2016