DVD/VOD : VIERGE SOUS SERMENT de Laura Bispuri (2015)

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Autrefois, Mark était Hana, une jeune fille à l’insolente chevelure qui aimait défier l’autorité du père. Mais à Ragam, petit village niché aux pieds des montagnes albanaises, difficile de s’affranchir de la domination masculine. Pour Hana et sa sœur Lila, seules deux issues, portées par le poids des traditions, s’offraient à elle : être des jeunes femmes soumises, données en mariage à leur puberté, ou devenir des « vierges sous serment » en adoptant à vie les habits et attitudes des hommes tout en renonçant à leur féminité. Alors que Lila a préféré fuir avec son amant en Italie, Hana a choisi d’endosser, tant bien que mal, le rôle de Mark auprès de sa communauté. Quatorze ans plus tard, la solitude aidant, Mark décide de prendre la route vers l’Italie pour retrouver Lila. S’ouvre alors à lui/elle un monde inconnu à la modernité violente, point de départ d’une reconquête familiale et identitaire.

Si le premier long-métrage de Laura Bispuri est aussi séduisant, c’est qu’il restitue avec une certaine étrangeté la gêne du débutant, ce moment du premier pas où se mêlent peur et curiosité à l’égard d’un monde nouveau. Adapté du roman Vergine giurata (2007) de la journaliste albanaise Elvira Dones, ce récit, qui prend la forme d’un voyage initiatique, trouve sa force dans l’interprétation tout en déséquilibre d’Alba Rohrwacher. Personnage double, ni masculin, ni féminin, mais un peu entre les deux, jamais à sa place, mais pas vraiment déconnectée de ce qui l’entoure, Hana/Mark est le reflet trouble d’un monde plein de paradoxes, prétendument moderne alors qu’il enferme autant dans les stéréotypes que certaines sociétés aux traditions archaïques. Ainsi, l’arrivée de Mark à Milan va susciter trois regards au sein de sa nouvelle famille : celui du beau-frère qui a totalement admis le serment de Mark et le traite comme un homme ; celui de sa sœur qui n’a jamais accepté le choix d’Hana de devenir Mark et d’imiter la rugosité du père ; mais surtout, celui de sa nièce Jonida, adolescente moqueuse qui l’enjoint de manière brutale et répétée à se définir. Hors de la famille, le contact est tout aussi difficile sans pour autant être impossible. Il va falloir apprendre ou réapprendre à se mêler aux autres, à dialoguer, à séduire, à aimer. Le corps recroquevillé de Mark, la démarche malhabile, semblent porter le poids de la timidité et de la maladresse paysanne. Marchant dans les pas de ce personnage en biais, le spectateur se trouve transporté dans un espace transitoire entre le passé et le présent, entre la marge et la norme. Alors que les scènes de la reconquête familiale et sociale de Mark se voient entrecoupées par les images de son enfance albanaise quelque peu éprouvante, des séquences du monde moderne surgissent à l’écran avec fougue pour accompagner la délicate réappropriation du corps féminin. On y voit la grâce des nageuses synchronisées (parmi lesquelles Jonida) se confronter au malaise de Mark dont la poitrine est compressée sous les bandages. Dans une autre scène, le personnage en route pour un emploi de veilleur de nuit assiste à l’étrange apparition d’une nuée de jeunes filles en robes de bal, bruyantes et scintillantes de partout, comme l’affirmation d’une liberté qu’il lui reste à saisir. Laura Bispuri filme les corps tels des objets de revendications identitaires : des corps tatoués, musclés, chétifs, fripés, pleins d’imperfections en tout genre, qui s’exposent à la piscine avec la même extraversion. Mark, en retrait, les observe en attendant son heure. Car l’enjeu de Vierge sous serment n’est pas tant de faire revenir Mark à sa féminité que de lui laisser le temps de reprendre possession de sa vie.

Titre VO : Vergine giurata/ Réalisatrice : Laura Bispuri/Pays : Italie, Albanie/Durée : 1h27/Distributeur : Pretty Pictures/Editeur vidéo : M6 Vidéo/Sortie salle : 30 septembre 2015/Sortie DVD : Mars 2016