THÉÂTRE : RIVIERA d’Emmanuel Robert-Espalieu au Petit Théâtre Montparnasse, Paris (2013)
Paris se souvient encore de Fréhel, cette grande dame de la chanson, ce petit oiseau de l’entre-deux guerres qui réchauffait le cœur des quartiers populaires. Elle connut la gloire, remplit l’Olympia, puis sombra dans l’alcool et la drogue par dépit amoureux. Elle aimait Maurice Chevalier, il lui préféra Mistinguett. Son retour, elle le fera au cinéma. Fréhel tournera pour Guitry (Le roman d’un tricheur), Duvivier (elle apparaît aux côtés de Jean Gabin dans Pépé le Moko) ou encore Christian-Jaque (L’enfer des anges). Mais marquée par ses douleurs passées et ses excès en tout genre, elle mourra seule à 59 ans (en 1951), laissant derrière elle un répertoire inoubliable : La java bleue, La coco, Tel qu’il est… Parfois, le cinéma lui rend hommage (La chanson des fortifs raisonne dans La maman et la putain de Jean Eustache), parfois même il la ressuscite (Yolande Moreau incarne la chanteuse dans Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar). Personne ne semble l’avoir oubliée… Ainsi, le théâtre lui redonne vie sous les traits de Myriam Boyer. Qui mieux qu’elle pour incarner l’artiste ? On se souvient de Médée Kali, le rôle puissant et grave que la comédienne a endossé il y a quelques années. Seule sur scène, elle prenait possession de la salle du Ranelagh en offrant une performance sidérante. Ici, elle joue une Fréhel émouvante et fragile. A l’aube de sa mort, la chanteuse revoit le Maurice Chevalier de ses souvenirs. Il a 20 ans et il affiche sa joie de vivre et son ambition. Cette visite chimérique est l’occasion pour Fréhel de régler ses comptes et de porter un dernier regard nostalgique sur ses années d’insouciance. Le reste du temps, elle prodigue ses conseils à une jeune chanteuse qui rêve, elle aussi, d’enflammer le music-hall. Le décor est minimaliste, les costumes sont modestes et le texte est brut : voilà Fréhel mise à nue, offerte à un public captivé par sa mélancolie et son infinie détresse. A partir du texte d’Emmanuel Robert-Espalieu, Gérard Gelas met en scène la folie douce de l’artiste et son glissement vers une mort libératrice. Myriam Boyer est, comme toujours, immense, intense dans l’émotion, pudique dans la douleur qu’elle incarne. A ses côtés, Clément Rouault et Laure Vallès apportent leur fraîcheur et leur gaîté. Mais bien évidemment, on ne voit qu’elle : Fréhel, la femme meurtrie dans son cœur et dans sa chair. Déchirant.
Du 16 janvier au 31 mars 2013 au Petit Théâtre Montparnasse à Paris
RIVIERA, écrit par Emmanuel Robert-Espalieu, mis en scène par Gérard Gelas
http://www.theatremontparnasse.com/
Fréhel dans Pépé le Moko de Julien Duvivier (1937)