RETOUR SUR LE 41ème FESTIVAL DES 3 CONTINENTS – NANTES (2019)

Focus sur la programmation « Le livre noir du cinéma américain »

La programmation de cette 41ème édition du festival des 3 Continents a été passionnante et riche. Très riche, trop riche pour tout explorer. Il a fallu faire des choix, des compromis et sacrifier quelques séances… Je n’étais là que pour 4 jours… Une erreur fatale qui m’a empêchée de voir certaines pépites et qui m’a posé quelques dilemmes.

Ce festival, qu’est-ce que c’est ? Un paradis de cinéphiles où vous pouvez quasiment camper dans l’un des cinémas indépendants partenaires, tant le programme est alléchant (j’ai passé presque une journée entière au Katorza, puis au Cinématographe) ; vous pouvez aussi boire, grignoter et bouquiner à l’espace Cosmopolis, transformé pour l’occasion en « 3 Continents Café » ; papoter avec des passionnés de tous âges qui vous parlent de leurs trésors de guerre comme Denis et sa fabuleuse collection de films d’actualités issus du monde entier, Irène, l’infirmière qui passe tout son temps libre au cinéma et me conseille d’aller au festival de Douarnenez l’été prochain, ou Valérie, la bibliothécaire qui était de toutes les masterclass. J’ai adoré ces gens croisés dans les files d’attente qui m’ont dit « va voir ce film, c’est un bijou », « il faut que tu ailles absolument voir ce film, il ne passe jamais». Il y a aussi ce film qui a fait l’unanimité contre lui…  Bref, beaucoup de créations cinématographiques qui ont suscité la discussion, le débat, l’enthousiasme.

Axé sur le cinéma d’Afrique, Amérique latine et d’Asie, le festival est un concentré de découvertes. Cette année, entre un focus sur le cinéma Costaricain, un hommage au réalisateur hong-kongais Tsui Hark et une programmation spéciale autour du cinéma africain américain, il y avait de quoi faire en parallèle de la compétition internationale.

Table ronde « Le livre noir du cinéma américain » avec les cinéastes Charles Burnett, Fronza Woods, Larry Clark & Ben Caldwell.

Mes 4 jours sur place ont à peine suffi à balayer toute la sélection afro-américaine qui accueillait notamment les cinéastes Charles Burnett, Larry Clark et Ben Caldwell du mouvement L.A. Rebellion (cette mouvance d’étudiants de UCLA qui a fondé les bases d’un black cinéma militant dans les années 60) et Fronza Woods, l’une des premières réalisatrices noires américaines et auteure de deux courts-métrages importants pour le cinéma féministe. Lors d’une table ronde mémorable, les cinéastes ont évoqué leurs influences (la Nouvelle Vague, le réalisme italien, les cinémas cubain, brésilien et africain, les pays en lutte) et ce qui les a poussés à se lancer dans la mise en scène : une furieuse envie de déconstruire les clichés véhiculés par Hollywood et la Blaxploitation.

« Killer of sheep » de Charles Burnett (1978) © Milestone Film

Côté films, on a pu découvrir ou redécouvrir Killer of Sheep (1978) et My Brother’s wedding (1983), deux œuvres sensibles et au réalisme brut signées Charles Burnett, The Learning tree (1969), superbe drame sur l’adolescence écrit et adapté par Gordon Parks, Daughters of the dust, grande fresque familiale de Julie Dash (1991) ou Sidewalk stories (1989), un magnifique hommage au Kid de Chaplin par Charles Lane.  Il y avait aussi les incontournables des années 80/90 : Do the right thing (1989) de Spike Lee, Boyz’n the hood (1991) de John Singleton et Menace II society (1993) d’Albert & Allen Hugues. La programmation a été marquée par quelques curiosités : Ganja and Hess (1973) drame vampirique aux accents psychédéliques de Bill Gunn, Losing ground (1982) manifeste féministe de Kathleen Collins et Symbiopsychotaxiplasm : take one (1968) de William Greaves, un drôle d’essai documentaire où le réalisateur laisse l’équipe de son film prendre possession du tournage. Ce fut également l’occasion de projeter plusieurs films d’Oscar Micheaux, le pionnier des « race movies » : Within our gates (1920), réponse cinglante à The Birth of a Nation (1915) de D. W. Griffith, Birthright (1939), remake parlant de l’un de ses premiers films muets désormais perdu, et surtout le drame anti-raciste The Symbol of the Unconquered: A Story of the Ku Klux Klan (1920).

« Passing through » de Larry Clark (1977) © Mypheduh Films

Enfin, on a pu voir un film extrêmement rare : Passing through (1977) de Larry Clark. Le film suit la trajectoire de Warmack, jeune musicien qui vient de purger une peine de prison pour avoir vengé un ami, victime d’une agression raciste. A sa sortie, il retrouve son saxophone, son groupe, son ex, qui s’est dégotée un mack, et le club où il jouait tous les soirs, devenu le terrain de chasse d’un dealer aux abois. Seul son mentor manque à l’appel, celui qui a toujours su lui dire quoi faire, lui a appris le sax, lui a ouvert l’esprit… Et c’est cette quête post-carcérale qui va le mener vers un mode d’action radical. Comment reprendre sa vie d’avant quand la société ne cherche qu’à le déposséder de son art, exploiter son talent et user de la violence pour maintenir les jeunes ambitieux comme lui à terre ?  Véritable composition jazz sur grand écran, Passing through fait doucement résonner sa petite musique de révolte. Et le mode de diffusion du film ne fait que confirmer ses intentions militantes. Lors de sa présentation au festival, Larry Clark n’a pas manqué de préciser que le public ne verrait jamais ce film autrement qu’en salles car le cinéaste considère que c’est la seule manière d’en faire l’expérience : dans un geste ininterrompu où s’entremêlent musique et fureur du héros. C’est aussi le témoignage d’un besoin irrépressible d’autonomie, comme beaucoup des films présentés aux  « 3 Continents », loin des studios, mais avec l’ambition toujours vivace de fédérer les publics.